Faire entendre la voix des sans-voix
Des ombres blanches projetées sur des écrans faits avec des papiers journaux accrochés à des cordes à linge de façon pyramidale. « Des voix… ». « Des voix dévoilées, dénoncées, énoncées, annoncées, renoncées… », s’élèvent derrière le décor. La salle, peu à peu, est envahie par l’écho de la manifestation de colère de cette foule généralement muette ou « sans-voix ».
« Des voix voilées, anonymes, dévoilées qu’on voit». Le public est scotché sur ces silhouettes qui parlent. « Ta voix, quelle voix, quel choix, vois-tu ? Tu vocifères à des sourds qui n’entendent que leurs voix, écrasent de leur poids, le poids de leur pouvoir ». Les comédiens continuent leur grogne, ils passent de l’ombre à la lumière.
La relation entre le peuple et les hommes politiques est mise à nu. Relation de dupe, relation de pouvoir du plus fort sur les plus faibles. Les trois comédiens tiennent des morceaux de tissu rouges qu’ils balancent pendant qu’ils parlent. « Des voix des armes, des voix sans armes, des gens sans larmes, des armées alarmées, des gens désarmés », répètent-ils en chœur.
Le titre de la pièce de la compagnie Miangaly théâtre de Madagascar, est ‘’Des voix…’’ mise en scène par Christiane Ramanantsoa. Le texte est une compilation de plusieurs écrits retenus à l’issue d’un appel à auteur qui devait répondre à la préoccupation suivante : « Tous ceux qui nous promettent un avenir, n’ont rien à nous offrir au présent ». Dans un contexte de transition politique (2013) à Tana (Antananarivo), « Des voix… », sent « ces voix, des sans-voix » qui ont ressorti ce qu’ils ressentaient, ce qu’ils vivaient et ce à quoi ils aspiraient. Des espoirs, des colères.
Les trois comédiens plongent le public dans les mots, dans leur jeu. Ils l’entrainent dans ses déplacements et dans ses pauses. De la colère du peuple qui revendique son dû, au zèle des politiciens qui paralysent les voies des heures avant leur passage, à la beuverie des jeunes laissés pour compte qui trouvent dans l’alcool une catharsis et un moyen d’expression, au calvaire des transports en commun en n’occultant pas le phénomène de la mendicité, pour enfin atteindre le discours électoral basé sur le mensonge, les différents tableaux sont des miroirs de nos sociétés.
Chacun vit ou revit chaque scène, se retrouve dans chaque phrase, dans chaque interprétation. « Des voix… » a cette force de dire à tous, qu’on vit sous le même « soleil », qu’on soit du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. Ces voix venues de la grande île nous parlent, nous font parler. Chacun sur son siège hurle, se marre de lui-même, sans pour autant assumer quoi que ce soit. Car « sans voix », mais avec le pouvoir d’applaudir pour dire merci à la Compagnie Miangaly Théâtre pour avoir porté sa voix.
SA