Doté d’un don naturel de dessinateur, Cheri Samba fait partie des artistes-peintres africains les plus cotés. Il vit et travaille entre Paris et Kinshasa, où il tire toute son inspiration. Son écriture picturale est « populaire ». Cependant, elle a cette force de dénoncer les maux de la société et gêne parfois les tenants du pouvoir. A 63 ans aujourd’hui, il est plus que convaincu que les dirigeants doivent prêter une oreille attentive aux artistes, les porte-paroles du peuple.
Samba wa Mbimba N’zingo Nuni Masi Ndo Mbasi, à l’état civil, l’ingéniosité de l’artiste a permis de retenir que Chéri Samba. Et si ce nom résonne comme un cor dans le milieu des arts à travers le monde, son histoire a débuté un 30 décembre 1956 dans le village de Kinto M’Vuila, dans la République démocratique du Congo. Avec pour premier support le sol où il dessine tout se qui lui passe par la tête, ses cahiers reçoivent aussi ses dessins, avec une préférence pour les bandes dessinées.
« J’ai débuté comme tout le monde. Mais, j’ai toujours pensé que chacun vient sur terre avec une mission précise. La mienne, c’est d’enseigner, d’évangéliser par la peinture. Ce rêve a démarré à l’école primaire », se souvient-il.
Bon élève, il décide pourtant de mettre un terme à ses études et regagne la capitale, Kinshasa, la ville par excellence de la débrouillardise.
« Mon dada préféré était de griffonner des croquis dans mes cahiers. Dès la 6e primaire, je reproduisais les dessins d’une revue célèbre de Kinshasa, “Jeunes pour Jeunes”. Mes dessins ont récolté un tel succès au village que ça m’a mis la puce à l’oreille ! ça m’a gonflé la tête. Vers 1972, j’ai arrêté mon cursus scolaire pour me consacrer à la peinture à Kinshasa, en échappant à la vigilance autoritaire de mon père », évoque-t-il.
Il travaille dans l’atelier d’un peintre d’enseignes et s’installe très tôt à son propre compte. Pour rendre ses créations plus attrayantes, il les accompagne de textes, comme c’est le cas pour les bandes dessinées.
Et de réclamer : «Je suis en même temps dessinateur et peintre. Parce que je commence toujours mes tableaux par un dessin. A cette étape du travail, je peux déjà vendre l’oeuvre mais j’aime aller jusqu’au bout de mes idées en couvrant les crayonnés par de la peinture. Ma démarche est celle de la B.D. et je relate l’histoire en continu. Raison pour laquelle on m’a taxé, autrefois, de peintre publicitaire. J’ai beaucoup évolué dans ma pratique artistique. C’est moi qui suis pionnier de cette appellation de «peinture populaire» par dégoût de l’appellation occidentalisée de ‘’peinture naïve’’ ».
Chéri Samba gagne la confiance des Kinois et est invité en 1977 à décorer un hôtel à Brazzaville. Il participe ensuite à de nombreuses expositions, notamment la Foire Internationale de Kinshasa et “Horizon 79” à Berlin.
« Notre avenir, c’est de ne pas nous juger par notre couleur, mais qu’on voit ce qui est en chacun de nous. Concernant la peinture, je souhaiterais qu’on la regarde pour elle-même, sans connaître son origine, sans lui donner de nom. Qu’on ne voit pas la peau, qu’on regarde le travail, peu importe d’où vient celui qui l’a peint ! », souligne-t-il.
Ses thèmes de prédilection sont divers et variés et vont de la corruption, de la guerre et du sous développement jusqu’au SIDA et à l’adultère. La peinture de Chéri Samba, emplie d’un humour corrosif, apparaît comme une critique féroce de la vie sociale et politique.
« Mes peintures traitent des sujets de la vie courante et de la politique dans la société mais avec humour, y compris au niveau des titres choisis : “Inconscience professionnelle”, “Parcelles sans WC”, “Le sinistré implore son ancêtre”, etc. », rappelle-t-il.
Combinant différents styles, ses audacieuses prises de positions picturales se caractérisent par une grande maîtrise du métier, par leur technique et leurs innovations. Chéri Samba traite de la vie de tous les jours, des problèmes, des plaisirs et paradoxes que l’on rencontre dans les cultures en mutation rapide, mais il montre aussi l’impact des événements internationaux sur les sociétés africaines.
Basées sur la conviction que l’artiste ne doit pas seulement faire réfléchir mais aussi en appeler à la conscience du spectateur, les oeuvres de Samba sont toujours d’accès facile et très appréciées du grand public. Toutefois, il aime que « l’on prenne le temps de regarder, de contempler une oeuvre. Se consacrer du temps pour rentrer dans un tableau ».
Il acquiert une réputation internationale avec l’’exposition “les Magiciens de la Terre”, qui se déroule au centre national d’art et de culture Georges Pompidou en 1989. Et depuis, il se croit investi d’une mission mondiale. « Je ne suis pas un monument national mais un monument du monde parce que mon travail n’est pas seulement destiné aux Congolais. Je suis un observateur du monde et mon oeuvre s’adresse au monde entier même si les cultures diffèrent », clame-t-il.
En somme, il est convaincu que ce sont les artistes qui font le monde. « Un monde sans artistes est impensable. On dit que les artistes sont des petits dieux. Les dirigeants doivent nous écouter parce que nous sommes les porte-paroles du peuple », se convainc-il.
FC