Il est sans aucun doute la révélation humoristique de l’année 2009. Le
Magnific, après avoir roulé sa bosse dans le milieu du foot, s’affiche
aujourd’hui comme une valeur sûre de l’humour ivoirien. Son récent passage à
l’émission Bonjour 2010, de la première chaîne de la télévision nationale, l’a
mis sous les feux des projecteurs. De nombreux Ivoiriens s’interrogent sur sa
personne. Qui est-il ? Comment en est-il arrivé là ? Portrait.
N’était-il pas prétentieux de sa part de se choisir comme nom d’artiste Le Magnific? Surtout qu’il n’était connu de personne. Mais à suivre ses spectacles ou à l’écouter simplement, on ne peut que dire : « Il est magnifique !».
Arracher un sourire à son auditoire est son plus grand bonheur. Et son exploit, c’est d’avoir fait sourire le ministre de la Communication, Ibrahim Sy Savané lors de la cérémonie de remise de dons par le Fonds de soutien et de développement de la presse (FSDP). Connaissant la sérénité du ministre et sa capacité à apprécier le travail bien fait, l’on pouvait interpréter sa satisfaction comme un quitus au travail bien fait.
Ainsi, le jeune comédien, avait-il imaginé son acceptation par le public ivoirien. Juste un sourire, qui lui permet de se conforter dans l’exercice de son art. Seulement, Le Magnific n’avait jamais rêvé un jour de faire de l’humour.
Le rêve de footballeur brisé
Né à Tessian dans la sous-préfecture de Facobly, ville située à l’Ouest de la Côte d’Ivoire, Bah Jacques Silver, qui deviendra Le Magnific, est le premier enfant de sa mère (deux garçons). Il est d’ethnie Wôbé. « Un Wôbé moderne car je ne manze pas… », aime-t-il à dire. C’est à Tessian qu’il fait ses études primaires (Cp1 au Cm2).
Après son échec au concours d’entrée en 6e, il est récupéré par sa mère qui vit à Abidjan. Arrivé dans la métropole, le jeune garçon a plus de chance et obtient son concours d’entrée au collège à Marcory.
C’est dans cette commune qu’il termine ses études secondaires. Durant toute cette période, Jacques ne rêve que de devenir un footballeur professionnel. Et, ce n’est pas le talent qui lui fait défaut. « Il joue très bien au football. C’est un bon attaquant. Si je dois le comparer à un joueur, je dirais qu’il a le jeu de Kader Kéita », reconnaît Bertrand, son ami d’enfance.
Très engagé, le jeune footballeur intègre l’équipe du Cosmos FC qui évolue en 3e division. L’expérience avec le club est bonne. Il gravit les échelons et se retrouve au Stade d’Abidjan sous le contrôle de coach Kahé François.
Mais, l’aventure footballistique du Magnific ne va pas plus loin. Il est victime d’une blessure au genou. « Après un an de soins, la blessure ne guérissait pas. J’ai donc décidé de stopper le football et reprendre mes études », se souvient-il.
Il réussit à l’examen du Brevet de technicien supérieur (Bts) en gestion commerciale. Ce diplôme ne garantissant plus un emploi en Eburnie, le nouveau chômeur se lance dans les petits boulots.
Il devient agent de sécurité. « Dans l’agence, j’étais armé et c’est à moi qu’il revenait de faire le filtrage des visiteurs à l’entrée et à la sortie de la salle», explique-t-il. Pendant toutes ces aventures, les amis du jeune homme sont marqués par sa gaieté et sa prédestination à amuser tout le monde. Si pour lui les séances de blagues ne sont que des moments de détente, nombreux sont ceux qui voient en lui un talent de comédien.
L’appel de l’art
Comme par magnétisme, le natif de Tessian est attiré par l’art. Mais, c’est la chanson qui l’intéresse. Avec un de ses amis, il prépare en 2002, six maquettes de chansons. Au cours de cette nouvelle tentative pour réussir, des personnes lui rappellent ses prédispositions d’humoriste et l’encouragent à embrasser une carrière dans ce sens.
A cette époque, « le zouglou avait pris sa tête ». Aussi, les chansons à travers ce rythme musical lui permettaient-elles de raconter des blagues. Son côté humoristique, Silver croit le détenir de sa grand-mère maternelle, Gnan Bléwini Makoura, avec qui il vécut au village.
« C’est ma grand-mère qui m’a donné le goût de la comédie. Très bonne comédienne, elle amusait tout le village à travers son accoutrement et sa manière de parler. Elle savait détendre l’atmosphère avec de petits mots et expressions cocasses. Et moi, j’étais toujours auprès d’elle », se remémore-t-il.
Forgé par les petites histoires et contes de la vieille Makoura, Jacques, au cours des animations de cérémonies funèbres en tant que chanteur, s’essaye à surmonter la douleur des familles éplorées en racontant des histoires gaies.
« Lors du décès de la mère d’un de nos arrangeurs, je me suis rendu à la veillée funèbre avec l’animateur de la Radio Koumassi, Sisco N’Gowa. A cette cérémonie, j’ai commencé à faire rire l’assistance. L’essai avait séduit », se remémore-t-il.
Une conscience professionnelle poussée
J’ai réitéré l’exploit une seconde fois. A la suite de ce succès, mon compagnon m’a demandé d’apporter une note de gaieté à son émission. C’était en 2002. Au cours de cette animation, j’ai pu m’introduire dans le staff du maire de Koumassi, N’Dohi Yapi Raymond. Je l’accompagnais durant ses tournées », apprécie-t-il.
« Sachant que j’avais à faire aussi bien des émissions à la radio et accompagner le maire, j’ai commencé à faire des recherches. A travailler un peu plus », s’encourage-t-il.
A cet effet, tout devient une source d’inspiration pour lui. Un fait quotidien banal, une histoire qu’il entend dans la rue ou qu’il prend sur internet. « Le rôle de l’humoriste consiste à habiller ces faits tout en y ajoutant son grain de sel personnel », développe-t-il.
A ces petites histoires, s’ajoutent ses compositions personnelles. Très conscient de son travail, Bah Jacques ne se prive pas de fouiller partout pour dénicher l’histoire qui fera mouche auprès du public.
« L’humoriste a un métier plus difficile que celui de l’artiste chanteur. Car si une personne raconte deux fois la même blague, le public se lasse de cela », explique-t-il. « Il m’arrive parfois de me réveiller en sursaut ou tôt le matin, pour noter une blague qui m’a été inspirée durant le sommeil », se réjouit-il.
Selon lui, le contact avec le public est, semble-t-il, très complexe. « D’abord, c’est l’environnement immédiat qu’il faut parvenir à faire rire. Après c’est le public national. Et enfin, des personnes d’autres cultures et langues. Il arrive souvent qu’on ne parvienne pas à faire rire tout le monde. Mais, une fois à la maison, je reprends mon courage à deux mains. Je m’impose comme objectif de réussir ce pari. D’où mon besoin de toujours fouiner. Car, ce qui fait rire aux Ivoiriens ne fait pas rire forcement les Français », reconnaît-il.
Des débuts difficiles
Si Le Magnific a aujourd’hui une certaine notoriété, cela n’a pas toujours été le cas. Il a dû essuyer les humiliations et railleries de certaines personnes. « A mes débuts, j’ai été invité au maquis V.O. (Version Originale) à Port-Bouët.
Dès 19 h, j’étais sur les lieux avec un ami. La serveuse du maquis à qui nous nous sommes présentés comme des artistes, nous a répliqué ceci : « pour qui dansez-vous ? » Déjà vexés, nous avons attendu jusqu’à une heure du matin. Lorsque j’ai eu droit au micro, en deux blagues, la salle était extasiée.
Galvanisé par les congratulations, je me suis approché d’Al-Moustapha, qui était l’invité d’honneur. Et j’ai sorti cette phrase : le monsieur en face de moi, lorsqu’il veut qu’un artiste ait honte, il lui donne 50.000 Fcfa et quand il veut le féliciter, c’est très grave. Papa, moi je veux que tu me fasses honte ce soir. Je venais d’atteindre ma cible. Al Moustapha satisfait de ces éloges, m’a submergé de billets de banque. La serveuse qui n’a pas manqué de me reléguer au second plan, a eu une autre vision de moi. Car, outre l’argent, Al-Moustapha avait acheté plusieurs bouteilles de vins-mousseux et de bière pour nous », relate-t-il. Après plusieurs aventures de ce genre, le jeune humoriste-chanteur va avoir une occasion de s’essayer à la télé.
Une présence à la télé
Après la radio de Koumassi, Le Magnific rejoint d’abord Didier Bléou sur Fréquence 2. A l’émission »Le grand jour », il raconte des canulars en compagnie de Digbeu Cravate. En 2005, il fait un passage à la télévision avec Guy Serge Kadio dans »rire et chanson » de RTI music.
La deuxième chaîne de télévision ivoirienne l’accueille à l’émission »Les après-midis de la 2 » animé par Assa Julien. Avec Léonie Konian, l’expérience du programme »Il y a de la joie », n’a pas eu le résultat escompté. L’émission est arrêtée après quelques diffusions.
Dans le souci de toujours apprendre, il ne quitte pas ses »grands frères ». Ceux qui l’ont devancé dans le métier : Zongo et Tao, Adama Dahico, Jimmy Danger, Kôrô Abou et Chuken Pat. Auprès d’eux, ce sont de vrais conseils qu’il reçoit. Un rapprochement qui l’a enrichi énormément.
Aujourd’hui, l’humoriste ne s’est pas défait de la musique. Il a un album sur le marché : « Goûter voir ». Un disque de six titres truffés de plaisanteries. Sa leçon de vie : « C’est rester serein comme une maison inachevée. Car tôt ou tard, le propriétaire viendra la terminer ou le nouvel acquéreur le fera ». Lui, il est en voie d’achèvement. Pourvu qu’il tienne bien la barre.
Sanou A. (réalisé le 18 janvier 2010)