Quand deux brillants journalistes culturels ne sont plus rassasiés par leur page, s’ensuivent des démangeaisons littéraires. Et ils lorgnent ailleurs pour produire un recueil de poèmes détonants.
Azo Vauguy et Henri N’koumo, avec « Zakwato et Morsures d’Eburnie », ont franchi le rubicond. Lumière sur Azo, le poète profond né dans une rizière loquace et féérique dans les abysses du pays bété.
Il s’agit véritablement d’un mythe-fondateur. Vouloir créer un monde nouveau d’où le trépas disparaîtrait est un réel défi. « Zakwato », c’est l’histoire d’un guerrier. Il porte l’espoir d’une armée pour attaquer l’ennemi. Et il s’assoupit.
Cette faiblesse a valu une razzia à son peuple. Comment se racheter? Il se résolut de se meurtrir en s’incisant les paupières. En route vers l’antre de Gbloublègnon-Zato, le tailleur de flèches, moult obstacles se dressent devant lui pour annihiler sa quête.
Un voyage initiatique. «Zakwato, pour que ma terre ne dorme plus jamais», l’œuvre d’Azo Vauguy, est un long poème comme « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire ou « Mon pays, ce soir » de Josué Guébo.
Cinquante-six pages de truculence, de délices et de puissance évocatoire. Azo, pour écrire, a dû écouter, creuser, bêcher et fouiller dans la riche culture bété pour en tirer les pétales onctueux de ce mythe.
Plus de deux décades pour accoucher de ce poème atypique. Morphèmes, syntaxe et philosophie campent éloquemment ce drame sur un podium qui plante le décor pour divers genres et arts. Ainsi, mythe et conte de la cosmogonie bété, chant et danse endiablée laissent s’écouler le récit de Zakwato dans le flot de la verbosité déclamée, polyphonique et polysémique.
Azo Vauguy est un vrai fils du terroir qui n’éprouve aucun complexe à évoquer les périodes pastorales de sa vie. Son langage s’en trouve enrichi et maculé d’images ensorcelantes. Ce trésor lui confère une merveilleuse dextérité à courber et “coïter” la langue de Molière.
Et le voici qui, lucide à souhait, constate amèrement la léthargie dans laquelle baignent Zakwato et sa patrie. “Durant des gerbes et des milliers de gerbes de soleils (…) un sommeil cauchemardesque, un sommeil traître l’avait complètement extrait du cours normal de la vie.
// Kanégnon Didigbé dormait du sommeil des damnés
//Zakwato dormait des gerbes et des gerbes de siècles
// Les fusils des hommes aux oreilles longues et rouges éternuaient : di-di-di-di-dizian ! Et Zakwato dormait
//Leurs canons faisaient dou-doud-dou-goudrou !
Zakwato dormait
// Leurs pirogues du ciel hurlaient voum-voum-voum-vougba !
Mais Zakwato dormait toujours”.
Toutes ces allusions périphrastiques temporelles qui évoquent l’éternité de la “petite mort” de l’Afrique nous conduisent dans le champ poétique africain. Que dire de l’anaphore insistante “Zakwato dormait» ? Et ces métaphores authentiques ? Ces onomatopées effrayantes ? Ces images et procédés annonçant le chaos expriment l’état de délitement du continent noir.
À Zakwato, à notre Cité, à l’Afrique, l’on dira : “Lève-toi, réveille-toi ! Il est temps d’aller au charbon, il est temps d’aller au front.
Lève-toi et va affronter la mort pour que jamais plus, elle ne nous accompagne. Lève-toi et brise le mur de silence qui se dresse devant toi et qui fait de toi un damné de la terre !
” C’est là un message fort pour la Côte d’Ivoire et tous ces pays qui se plaisent à patauger dans la torpeur et l’indolence du sous-développement sous le diktat “des oreilles longues et rouges”.
Le poète exhorte les “damnés” à se battre pour transformer leur vie. L’essor et l’émancipation sont au bout de cette prise de conscience motorisée par l’action. L’Afrique devrait rompre ses chaînes séculaires pour se bâtir une liberté productive, un autre avenir. Une destinée radieuse.
Bien heureux ce jour où le clairon de la révolte retentira pour abréger ce sommeil vieux de “milliers de gerbes de soleil”. Le voyage étrange de Zakwato à l’orée du pays des “Gloumégnoan”, ce territoire que chante l’immense John Yalley, en est un ferment, un catalyseur.
’’L’homme-aux-noms multiples marchait comme marchaient les guerriers de la Grèce antique triomphant après de rudes journées de combats titanesques
// L’esprit des ancêtres l’habitait et la force de la conviction
> guidaient ses pas
// Oracle éternité
// Amour
// Tout rayonnait pour celui qui va à la conquête de la liberté”.
Comment ne pas s’apercevoir que l’écriture d’Azo Vauguy est un profond chant liturgique qui a pour but de sonner la charge ? Un cantique d’espoir, de réveil, d’éveil pour nous Africains qui avons laissé Morphée avoir raison de nos rêves, nos ambitions, mettant sous le boisseau notre vision.
Il en ressort les dimensions initiatique et spirituelle du guerrier qui porte sa croix pour sauver sa patrie, contre vents et marées, par monts et vallées. Et ce sont ces embûches qui construisent l’homme. Gofa-Gniniwa, le génie aux jambes kilométriques, serpent ou oiseau, Zakwato n’a qu’un objectif. Vaincre pour sortir les siens de l’asservissement, l’indignité maladive.
La plume du poète Azo Vauguy est incisive, alerte, belle et hautement politique. D’où le caractère didactique de son puissant texte qui nous apprend la nécessité de nous immerger dans les connaissances abyssales de notre riche folklore pour nous surpasser.
« Zakwato et Morsures d’Eburnie »,
Azo Vauguy et Henri N’Koumo, éd. Vallesse, 103 pages.
Soilé Cheick Amidou
Critique littéraire