Prix du jury au dernier festival de Cannes, programmé dans la section «Diaspora ?» des Journées cinématographiques de Carthage, «Les Misérables», le premier long métrage du réalisateur français d’origine malienne Ladj Ly, est un véritable uppercut à la face des spectateurs. On n’en ressort pas indemnes.
Suite à sa demande pour se rapprocher de son fils, Stéphane, un policier, est muté de Cherbourg à une banlieue parisienne, plus exactement à Montfermeil, dans le 93 (département de Seine-Saint-Denis) où il intègre la Brigade Anti-Criminalité. Là, il doit faire équipe avec Chris et Gwada, une sorte de duo à la Starsky et Hutch, travaillant sur «Les Misérables», un quartier de cette banlieue.
Stéphane découvre alors que «la banlieue, c’est pas rose ; la banlieue, c’est morose», pour reprendre le trio de comiques français Les Inconnus, qu’il y a des tensions entre les différents groupes du quartier, et pas seulement avec la police.
Gwada commet une bavure en tirant avec son flash-ball sur un gamin, Issa, «recherché» pour avoir volé un lionceau dans un cirque. Tout aurait pu être passé sous silence si Buzz, un enfant de la zone, n’avait pas tout filmé avec son drone. Tout part en vrille pour les policiers, mais également pour ceux qui font la loi dans ce quartier, comme «Le maire», une sorte de modérateur autoproclamé, ou encore un dealer à la petite semelle.
Sans parti-pris
Ce long métrage est le résultat du développement d’un court du réalisateur d’origine malienne Ladj Ly, tourné en avril 2016, et s’intitulant… «Les Misérables». Ce film est un véritable uppercut. On ne ressort pas intact après l’avoir visionné. Le réalisateur a donné un point de vue de l’intérieur d’un quartier difficile sans prendre parti, car il s’est mis dans la peau de tout le monde, et même des policiers. Il est resté neutre jusqu’au bout. Il n’a voulu ni taper sur les jeunes, ni sur la police, ni sur aucune autre partie, notamment les parents.
Le titre en est une première preuve. On pourrait se dire, avant d’avoir vu le long métrage, «encore un film sur la délinquance et les problèmes des habitants des banlieues !». En fait, pas exactement, car «Les misérables» englobent aussi bien les jeunes, les banlieusards que la police. Ladj Ly a dessiné ses personnages dans une intention générale, et ce, dans l’objectif de ne mettre personne en avant.
Certains pourraient penser que l’histoire du drone qui filme la bavure est surréaliste. Cependant, elle est d’une certaine façon réelle puisque le réalisateur, lui-même, à une époque, avait filmé une bavure policière et l’avait diffusée sur le net.
Au cœur d’un microcosme difficile
Ladj Ly a mis le spectateur face à une réalité sociale dans un microcosme difficile. Il y a évidemment les tensions -dont la presse nationale française en fait ses choux gras-, mais au-delà de cela il y a ces liens qui se tissent «involontairement» entre la police et les banlieusards. Car à force de travailler et de faire des rondes dans le même quartier, tout le monde connaît tout le monde, que ce soit du côté des policiers ou des habitants.
Il y a des dialogues, des arrangements à l’amiable. Chacun essaye de calmer le jeu quand il y a des tensions, non pas pour le bien de la cité, mais de soi-même, et pour asseoir son pouvoir. Chacun continue à faire ses petites combines, même si la vie d’un enfant est en jeu. Tout le monde en est conscient et cela arrange tout le monde. Il y a des fois des «révoltes».
Dans «Les Misérables», cette révolte vient des enfants et surtout d’Issa. C’est une vengeance à double visage : se venger des policiers qui l’ont malmené et des «petits chefs» de quartiers qui n’ont rien fait pour le protéger. Tout ce petit monde en prenant pour son garde. Sauf Salah, un voyou repenti, qui pratique l’islam mais sans faire dans l’intégrisme, et, d’une certaine manière, Stéphane. Et le face-à-face final entre lui et Issa est magnifique car il laisse les spectateurs en haleine sur comment va réagir le garçon face à un homme qui est policier mais qui l’a aussi soutenu.
Plus de place pour l’interculturel
Au-delà, des relations entre les policiers et les banlieusards, «Les Misérables» montre, également, que les gamins des cités ne sont plus dans des communautés interculturelles. D’ailleurs, le père d’Issa est de type maghrébin, sa mère africaine subsaharienne ; d’où le métissage du petit.
Dès l’entame du film, la disparition de l’interculturalité est mise en avant : une bande de gamins de banlieue qui fraude pour aller chanter la Marseillaise avec les supporters de l’équipe de foot après la victoire de celle-ci. On voit même le drapeau algérien. Des jeunes autant français que d’origine étrangère.
Bye-bye l’interculturalité, bonjour le radicalisme. Les jeunes de banlieues se retrouvent face à du racolage radical aussi bien politique, délinquant que religieux. Un exemple pour ce dernier, dans le film certains gamins se font accostés, à la sortie d’un immeuble, par des «intégristes» qui les appellent «petits frères», qui leur débitent la parole de Dieu et qui leur promettent un goûter après le «sermon» à la mosquée.
Des enfants qui sont l’avenir mais qui se retrouvent grandissant dans un monde égoïste et nombriliste. Et comme l’a si bien écrit Victor Hugo et si bien repris par Ladj Ly : «Il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs»…
Zouhour HARBAOUI