Des puristes l’avaient tancé à propos de son échafaudage concernant « La lycéenne » qui s’est d’ailleurs vendue à des milliers d’exemplaires et l’a réellement révélé dans le milieu littéraire ivoirien. Creusant sa voie dans les sillons de notre littérature, l’artiste revient avec un bol de phrases conçues dans le vestibule de la poésie en nous offrant « Silence, la récréation est terminée ». Un bon cru. Un baileys exquis à déguster, à savourer, goûte après goûte, morceau de page après page.
Nous sommes dans la république de Boribana. Après sa réussite au BEPC, Isabelle Kayéli quitte pour le bidonville Ziboti chez tante N’zouhô à Dégali, la redoutable cité de la perversité, de la misère et du gangstérisme. La jeune fille sera-t-elle broyée par ce monstre ? Pourra-t-elle garder les valeurs que lui a transmises sa mère ? Retiendra-t-elle toujours comme une sourate que « Le chemin qui mène à la rose est toujours jonché d’épines » (P.21) ?
Les péripéties du voyage sont catastrophiques : accident, frayeur, dépouillement de tous ces biens… Sur ce périple, le champ lexical est assez prémonitoire et confère un intérêt littéraire dramatique au récit. L’avenir s’annonçait déjà sévère, acariâtre, misérable. A la page 16, on pouvait lire « Le ciel, ce jour-là, devint nuageux et le temps brumeux. (…) Tchancia en fut assombrie ». Ziboti ! Un monde gangrené par la prostitution, l’insalubrité, l’égoïsme, les passe-droits, une maison populeuse et grouillante qui fait le lit de la promiscuité, socle de nombreux vices. Ce coup de pinceau descriptif de la maison et du quartier sordide crée un sentiment de malaise. Le romancier trempe son calame dans une sorte de cigüe pour porter l’estocade. De ce visage laid de Dégali à travers Ziboti, allégorie de Boribana, l’on découvre une terrible sagaie lucide dans la chair de la gouvernance des autorités. Des dérives, une gestion chaotique, « la généreuse dictature de la nation » (P.13). Ô l’oxymore ! Résignation. Le décor de la négation est planté.
Des élèves paresseux, des enseignants partisans du laisser-aller, des effectifs pléthoriques, une administration tatillonne… Ici, on le perçoit, sous la plume incisive de Mathurin Goli Bi Irié, c’est la société qui est en jeu. Le roman du père de <<La lycéenne>> introduit dans son œuvre un désordre social réel à travers cette pseudo auto-biographie d’une petite pauvre qui se jette dans l’apprentissage social et a pour ambition d’obtenir du monde la reconnaissance de ses mérites tout en échappant aux pièges du vice. En cela, l’homme de lettre rejoint Marivaux dans <<La Vie de Marianne>>.
Pourtant, « A Boribana, c’est le socialisme congénital, la fraternité exacerbée (…) une forme de communisme que nous n’avons pas voulu enseigner au reste du monde par manque de courage » (PP.15-16). Quoiqu’un professeur volubile mais lucide dans sa satire et ses propositions prône que Boribana batte sa propre monnaie, s’arc-boute sur sa culture et tourne le dos à la fainéantise. Boribana ! Kayéli doit se battre dans cet univers où sent le soufre de la décadence morale. Et voici que Gabriel Djangoné tombe amoureux et désire se nourrir de la chair fraîche de la jeune fille qui, elle, veut nourrir son estomac. La jeune fille n’oublie pas les préceptes de sa mère : « défi-effort-persévérance ». Une solide litanie pour le développement personnel autour de ce mantra. Cette disposition d’esprit couvre le livre (le récit) de façon lancinante avec la voix de la mère qui vrombit toujours en écho. Le refus scandalise la tante proxénète. Une tante qui exhorte sa nièce à se prostituer. La plaidoirie de la débauche. Le monde à l’envers. C’est le conflit désormais. La guerre est déclarée.
On le voit, Isabelle est une espèce en voie de disparition ; le dernier Mohican d’une caste que Mathurin Irié idéalise de façon surréaliste. Ne refuse-t-elle pas de tomber dans les travers de la débauche, de la facilité ? Un message on ne peut plus clair pour toutes ses élèves qui s’abritent derrière l’argutie spécieux de la pauvreté pour se livrer en objet de plaisir. D’ailleurs, après avoir été rossée et humiliée par la maisonnée, Kayéli « la rebelle » devra partir de chez N’zouhô où elle est affublée de tous les péchés. Destination ? Au domicile de sa très chère Demisère, à Belle-Côte, une princesse au sommet de la misère morale qui, après une grossesse, laissa une lettre-testament pour enseigner ses « dix commandements » comme Moïse sur la crête du mont Sinaï.
Esthétiquement, en égrenant les phrases et les pages de ce roman, l’effort soutenu de l’artiste est très audible, lui qui a décidé de caillasser les prétendues balises entre récit et poésie. N’écrit-il pas « Ma mère n’était pas sortie bredouille de ses myriades de nuit blanche. Celles-ci l’avaient munie de prudence, auréolée de sagesse » (P.13) ? Pour moi, assurément, Mathurin Goli Bi Irié est un peintre des mœurs et de la nature humaine. C’est là une écriture au vitriol où la création littéraire l’emporte sur les poncifs avec des mots qui cognent.
Cette œuvre satirique de l’auteur prolixe se faufile dans les marais du roman à thèse. Peut-être que c’est cette posture qui a incité l’auteur à surévaluer l’expression de la narratrice autodiégétique (Kayéli n’est qu’une élève de classe de seconde). « Silence… la récréation est terminée », la fête des morphèmes pensants pour panser les plaies purulentes des terres angoissées tel Boribana, un autre nom d’Eburnie où l’école devrait rester la matrice des valeurs.
Mathurin Goli Bi Irié, « Silence… la récréation est terminée », éd. Matrice, 184 pages.
Soilé Cheick Amidou
Un commentaire
Je remercie le chroniqueur. J’ai été particulièrement sidéré par le choix des mots justes opéré par le chroniqueur pour faire monter au niveau supérieur l’intérêt du roman. Le style de rédaction est très doré.