Tanit de bronze court métrage documentaire aux dernières Journées cinématographiques de Carthage, «5 Étoiles» de la journaliste et réalisatrice sénégalaise Mame Woury Thioubou traite des migrants qui ont pu arriver à la destination voulue. Migrants partis avec beaucoup d’espoirs et vivant dans la déception…
«Les migrants d’Afrique prennent les routes que les Européens ont ouvertes à l’époque de la colonisation. C’est un phénomène d’écosystème tout à fait naturel : une fois qu’une voie est tracée, elle est forcément à double sens». C’est par cette citation tirée de l’ouvrage «Arrêtons d’avoir peur» du chercheur biologiste et professeur de microbiologie français Didier Raoult que commence le court métrage (18’/2019) de la journaliste et réalisatrice sénégalaise Mame Woury Thioubou, «5 Étoiles». Un documentaire qui a reçu le Tanit de bronze aux dernières Journées cinématographiques de Carthage.
La réalisatrice y a donné la parole à des migrants africains vivant à Lille, ville du nord de la France. Pourquoi Lille et pas une autre ville ? Tout simplement parce que ce film a été réalisé dans le cadre de «l’Atelier Regards croisés #1 – documentaires en création», organisé par Krysalide Diffusion en collaboration avec le Fresnoy dans la région de Lille.
‘’Avec la patience et le courage tout finira par aller bien’’
Mame Woury Thioubou a voulu donner une autre dimension à l’émigration, car, comme elle l’a expliqué dans son synopsis, «on parle souvent des dangers de la traversée du désert et de la Méditerranée. Mais ce dont on parle le moins, c’est de ce qui se passe une fois que les migrants arrivent à destination».
‘’5 Étoiles’’ apporte des témoignages de ces migrants qui ont «réussi» à arriver à leur destination. Une réussite bien amère, car le rêve français s’est transformé en cauchemar. La terre promise, l’Eldorado, est devenu un enfer. «Parqués» dans une entreprise désaffectée et insalubre, qu’ils appellent, peut-être par ironie ou par dérision, ‘’5 Étoiles’’, à l’instar des hôtels de luxe, ils ont vite désenchanté. Et pourtant, ils espèrent, encore et toujours, une régularisation de leur situation de clandestins. N’est-il pas écrit sur un mur, que l’on voit sur un plan du documentaire, «Avec la patience et le courage tout finira par aller bien» ? Alors, ils patientent avec ce sentiment mêlé d’espoir, de désespoir et, surtout, de déception, parce que, comme l’a dit un migrant, «C’est pas facile la France». Ils manifestent pour le droit à la régularisation de leur situation. Un combat d’un autre genre que celui qu’ils ont mené pour arriver à destination. Ils sont soutenus, dans leurs actions, par la Maison de l’immigration et de l’égalité Romain Binazon.
Deux symboles opposés
Romain Binazon, un nom évocateur et révélateur. Romain Binazon (1964-2004) était un émigré/immigré (selon où l’on se place) béninois, arrivé, en 1991, en France où sa demande d’asile est refusée à plusieurs reprises. Il s’imposa comme leader des étrangers en situation irrégulière et cofonda la «Coordination nationale des sans-papiers».
Un nom emprunt d’espoir qui s’oppose à un autre personnage : Faidherbe. Une personnalité de la colonisation française à qui peut s’appliquer la suite (non mentionnée dans le documentaire) de la citation de Didier Raoult : «Les Français ont colonisé il y a cent ans des pays du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne, il est donc naturel que les habitants des anciens pays francophones viennent chez nous aujourd’hui».
La statue de Faidherbe trône sur une place de Lille par laquelle passent les migrants ; une statue qui semble les regarder de haut, voire les narguer. Louis Léon César Faidherbe était un militaire, un administrateur colonial (gouverneur au Sénégal, général en Algérie, et chevalier de l’ordre du «Nichan Iftikhar» en Tunisie) et un homme politique français originaire de… Lille, d’où la statue en son hommage. Une statue qui rappelle, sans contexte, la colonisation et ses conséquences actuelles. Cause à effets. Des séquelles sur plusieurs générations encore.
Ce parallélisme entre les deux personnages, volontaire ou non, dans «5 Étoiles», rappellent que les combats ne sont pas les mêmes, que les buts des hommes diffèrent. Binazon est comme un protecteur et Faidherbe comme un agresseur, un persécuteur. Et que même s’ils ne sont plus de ce monde, leurs actes ont eu des conséquences.
Mame Woury Thioubou n’a pas voulu terminer son documentaire par une note négative. A la fin, juste avant le générique, un fond noir et la voix d’un migrant qui dit : «Ici, même pour chier tu dois prendre un ticket»… Une phrase ironique mais révélatrice !
Zouhour HARBAOUI