Réalisatrice burkinabè vivant en Normandie en France, Aïcha Boro a décroché l’Etalon d’or du Yennenga du meilleur long-métrage documentaire au FESPACO 2019. Depuis, le film écume des prix dans les festivals à travers le monde où la journaliste-réalisatrice partage sa vision et l’humanisme qu’elle a voulu montrer dans sa production. Nous l’avons rencontré à Tunis lors des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) 2019.
La carrière de Balolé, un trou noir, un trou d’horreur ?
Oui. C’est un trou noir, un trou d’horreur. Mais aussi un trou de grande humanité, de profondeur d’âmes exceptionnelles, de poésie extraordinaire. Cet endroit allie âpreté, dureté extrême, tendresse infinie, amour, humanité et très grande sensibilité. Des choses qui ne cohabitent pas habituellement. C’est ce qui m’a frappé quand je suis arrivé pour la première fois dans ce lieu, ce sont ces femmes qui ont une tendresse pour leurs enfants, des hommes qui ont de l’amour pour leurs femmes. Et le monsieur qui dit dans le film, vous les regardez d’en haut, mais ce sont elles nos miss. Une façon de dire que vous on ne vous voit pas.
…
C’est ce que j’ai trouvé extraordinaire et je suis tombé littéralement amoureux d’eux. Au départ, je voulais filmer un lieu, le traité comme un personnage à part entière, comme étant un gouffre qui engloutit tout, le labeur des gens, jusqu’à leur existence puisqu’on ne sait pas qu’ils sont là. Ils ont pris part à l’insurrection contre Blaise Compaoré, mais l’histoire ne les a pas retenu. Ils sont cachés de fait. Pas que des gens essaient de le faire. On y va lorsqu’on veut acheter du gravier. Mais on n’imagine pas qu’il y a cette sorte de sous ville dans la ville.
Où se situe exactement cette carrière ?
C’est à Ouagadougou. A partir du siège du Fespaco, c’est à 4, 5 kilomètres à vol d’oiseau. Moi je parle de faille spatio-temporelle parce qu’on descend dans le trou et on voyage dans le temps. On est quand même dans une capitale. Y a toute la modernité, des immeubles, la haute technologie et on a ça ! On est coupé du monde, on a l’impression que le temps a arrêté de tourner. Il y a des images de drone (moi je ne las aime pas, on était obligé), on voit la circulation, les immeubles autour de ce trou.
La carrière est omniprésente dans le film…
Ce lieu est une sorte de boite. Je le traite par rapport à son impact, son influence sur les gens et le rapport des gens à cet endroit. Et ce corps animal que ça impose aux gens. Des êtres perpétuellement au travail qui ne sont ni dans la plainte, ni dans la complainte, ni dans la comparaison avec autre chose. Ce qui est fort pour moi, au-delà de cette dureté extrême, ce dénuement puisqu’ils n’ont rien, il n’y a pas dans la misère. Parce que la misère aliène les âmes. Eux, ils ne sont pas aliénés. Ils ont une profondeur de réflexion extraordinaire. Ils tiennent à le souligner: « ce n’est pas parce qu’on est dans le trou qu’on est tous des ignorants ». Et ils continuent : « On était des sujets, maintenant on est des citoyens ». Ce n’est de la misère parce que je ne voulais pas faire un film misérabiliste. Il y a la pauvreté, mais jamais la misère. Ce sont des gens débout qui ont une joie de vivre.
Pourquoi vous n’évoquez pas le gain de ces personnes ?
Je ne voulais pas montrer des gens qui gagnent peu d’argent, je ne voulais pas non plus faire un film de santé pour dire qu’ils sont malades. J’ai voulu montrer ces gens dans toute leur complexion. Quand je montre des enfants, on voit des gamins au travail, mais c’est aussi toute la complexion de ces enfants, qui se battent, qui répondent à leur mère, qui disent à l’équipe de production d’aller se téléviser eux-mêmes… Je ne voulais pas les « misérabiliser », ni les « angéliser ».
Par Sanou A.