Artiste visuel, Wadi Mhiri possède un parcours assez hétéroclite. En effet, issu d’une famille officiant dans le textile, chose qui oriente vers la mode, il a été formé dans une école de mode à Paris, avant de décider de s’installer à Tunis et lancer ses propres marques, comme «Cacabouda», une marque de vêtements pour bébés et enfants, et une de lingerie masculine «Anti-choc». Après de longues années dans le domaine et beaucoup de formations en photographie, céramique, Ikebana en PNL (programmation neurolinguistique) et suite à l’obtention de plusieurs prix en photographie, il a décidé de creuser plus dans les arts. C’est là qu’il a commencé à postuler pour différentes galeries d’art et festivals à Tunis et à l’étranger. De la photo, il est passé à la vidéo, la céramique, le collage, le land art installations, installations lumières, gravures etc.
A la découverte d’un artiste pluridisciplinaire, véritable «africain-trotter»…
Zouhour HARBAOUI : Vous avez un parcours assez hétéroclite, pourquoi ce choix ?
Wadi MHIRI :Tout projet n’est pour moi qu’un nouveau challenge. L’art pour moi explore l’interaction de ma mémoire personnelle et collective et leurs influences réciproques comme un continuum de processus du début à la fin de la vie. Il recueille et trie ce qui est observable dans le développement d’une personne, d’un environnement ou du monde et transpose les principes perceptibles de l’esthétique visuelle.
Vous étiez au festival Ségou’Art, dans la ville de Ségou au Mali. En quoi consistait cette participation ?
Ma participation à Ségou’Art 2020 était sur deux volets. Le premier était sous la casquette de scénographe avec l’aide de l’artiste malien Souleymane Ouologuem et du responsable exposition art Moussa Berté. La session de cette année a donné plus de visibilité aux jeunes artistes maliens. Trois pavillons ont été dédiés à cet effet : un pavillon photographie, un autre pour la sculpture, et le troisième pour la peinture. La grande salle SMDT était réservée aux artistes comme Abdoulaye Konaté et Cheick Diallo du Mali, Barthelemy Toguo du Cameroun, Viye Diba et Soly Cissé du Sénégal, Jean Michel et Dany Leriche de France, et moi-même, etc.
Le deuxième volet était la création d’une œuvre monumentale de 10 mètres dans une galerie, le «Studio Wadi Mhiri» ; ce qui a été un grand honneur à mon égard. Le titre de l’œuvre était «Et vogue la pirogue ?». J’ai conçu sous le terme «réconciliation», dans son sens premier, cette œuvre qui pose le questionnement de savoir comment réconcilier ce qui détruit et ce qui est détruit. Et cela, en s’inspirant, comme par le passé du fleuve sacré Niger et des objets traditionnels africains.
De quoi traite votre œuvre exactement ?
Mon œuvre traite de la fragilité. Car quoi de plus fragile que cette frêle embarcation qu’est la pirogue ? Et que dire lorsque celle-ci est sauvagement massacrée à l’aide d’une scie à bois ? Consciencieusement et malgré la difficulté de la tâche, tant sur le plan réel que symbolique, j’ai assemblé les parties adverses unissant dans une même œuvre l’objet destructeur et l’objet détruit dans un geste poétique réparateur. Ultime détournement, j’ai suspendu mon installation entre terre et ciel comme un rêve en suspension, l’espoir d’une réconciliation qui transformerait définitivement l’être même des deux parties en conflit. Les scies pourraient-elles devenir des ailes capables de faire flotter la pirogue… dans les airs ? Détournant à l’extrême des vecteurs artistiques, matériaux et fonctions initiales des objets choisis, j’ai expérimenter une porosité entre les contraires pour construire autre chose, suggérer un nouveau chemin pour concilier l’inconciliable.
Comment s’est passé votre séjour ?
Ségou et son fleuve sacré pour moi sont un petit coin du paradis. Je me sens aimer et respecter. On m’appelait avant «l’homme de l’Afrique», vu mon installation «Contenu pour un contenant», en duo avec l’artiste Houda Ghorbel. Cette année, c’est l’homme de la pirogue (rires). Ce séjour m’a permis de créer des nouvelles relations professionnelles. Plusieurs propositions m’ont été faites comme le festival de Tombouctou et Taragalte festival (NDLR : respectivement Mali et Maroc).
Vous avez une relation particulière et disons historique avec le Ségou’Art.
Depuis la première édition de Ségou’Art, je suis resté toujours en contact avec Mamou Daffé, fondateur du festival, et son équipe pour améliorer et faire en sorte que, d’une session à l’autre, de grands changements et améliorations se fassent. La session précédente, nous avons nommé le festival «Ségou Yelen». Yelen en Bambara signifie la lumière. Durant cette édition-là, notre collectif à Tunis, «Interférence», s’était engagé à animer un workshop avec une dizaine de jeunes artistes maliens et l’intervention de plusieurs artistes confirmés à l’international.
Vous êtes donateur pour le Fonds africain pour la Culture (ACF).
Exactement, je suis parmi les premiers donateurs avec Abdoulaye Konaté du Mali, George Camille des Seychelles, et Houda Ghorbel de Tunisie. Nos amis des quatre coins du monde ont contribué et continu à donner. Nous avons présenté le Fonds, en présence de Mamou Daffé, d’Abdoulaye Konaté, et de plusieurs artistes, critiques d’art et journalistes, à l’espace de l’artiste Mouna Jmal Siala, «Add space».
Il nous semble que vous avez également voyagé en Mauritanie et vous y avez un projet.
J’ai été invité, par la styliste Bana Korel et sa sœur et amie Amy Sow, à un événement en Mauritanie, pour présenter ma collection de bijoux «Wedd», créée en duo avec Houda Ghorbel. Cette marque de bijoux de luxe est représentée dans une galerie du Lac. Une nouvelle collection devrait être présentée en juin en Mauritanie pour la prochaine session de cet événement.
Quels sont vos rapports avec l’Afrique dite subsaharienne ?
Avant de découvrir l’Afrique subsaharienne, je me suis toujours considéré comme «citoyen méditerranéen», depuis la première invitation faite par le Centre Soleil d’Afrique à Bamako, dans le cadre du festival de l’image virtuel dirigé par son fondateur Hamma Gourou ; festival itinérant qui a parcouru les villes de Bamako, de Sikasso, et de Ségou. Je me sens de plus en plus africain. Puis des liens et des amitiés se sont construits et des invitation se sont succédé.
Outre ce dont j’ai parlé plus haut, j’ai été invité à présenter une vidéo, «Perles de familles» -œuvre conçue en duo avec Houda Ghorbel à la galerie Médina lors de l’exposition «Trésor de la médina» à Bamako. Nous avons été invités à exposer, en 2017,sur l’île Victoria aux Seychelles. L’exposition s’intitulait «Message in the bottle». Il y avait, également, une rencontre Artériel network. En 2018, une résidence artistique dans les ateliers de George Camille aux Seychelles a été programmée. Au cours de cette résidence, des gravures ont été réalisées afin d’enrichir le Fonds africain pour la Culture.
En 2018, j’ai participé à la biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Sénégal) dans une exposition installée dans les locaux de la Fondation Sonatel, et à un workshop. En 2019, j’ai fait un séjour de trois semaines à la fondation sur le Niger en tant que scénographe afin de créer onze nouveaux espaces d’exposition.
En 2019, j’ai conçu une œuvre, «Fleur de coton» dans le cadre de Ségou’Art, et participé à la scénographie.
Si je vous dis «Le Petit Prince» et Camp Mars, que me répondez-vous ?
«Le Petit Prince», c’est un festival que j’ai créé en plein désert, au Camp-Mars à Timbeine. Cette expérience de sept jours a été un voyage artistique, culturel et sensoriel où la danse, la musique, les installations artistiques, le mapping sur les dunes géantes se sont succédé. C’est une première édition expérimentale pour laquelle j’ai invité plusieurs artistes comme Mejed Zalila, Mohamed Gharbi, Fatma Abdelmoula, «DJ Mandala», Karim Hatira, Amin Kaabi, Salim Bechaouch, Ramy Mahmoud, Bahri Ben Yahmed, etc. Je remercie du fond du cœur toute l’équipe qui s’est mobilisée et engagée, bénévolement.
Quels sont les projets que vous aimeriez bien développer ici ou ailleurs ?
Bonne question. Mon rêve est de réussir à réaliser un musée flottant sur le fleuve Niger au Mali, et créer un musée en plein désert tunisien.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez pour l’avancement de vos projets ?
Vivre de mon art est la plus grande difficulté. Trouver des fonds de mobilité et des fonds pour réaliser les œuvres est très complexe. Plusieurs de mes œuvres sont conceptuelles ou éphémères donc invendables. J’espère que la nouvelle génération aura plus de faciliter que notre génération, d’où, également, la création du Fonds africain pour la Culture.
Propos recueillis par Zouhour HARBAOUI