La chanteuse malienne Rokia Traoré s’est exprimée ce 31 mars sur son arrestation en France et son extradition en Belgique où elle a été incarcérée avant de bénéficier d’une mise en liberté. La mère de famille donne de la voix contre les injustices dont elle a été victime, dénonce la procédure d’extradition et la requalification des chefs d’accusation et enfin relève des détails dignes d’une autre époque, celle où le Noir était moins bien logé en matière de droit et de justice. Nous vous proposons l’intégralité de son message.
« Entre l’injustice et la violence de ce que je vis depuis plus d’un an, mon seul repère et ma source de force restaient mes enfants. Merci à tous de l’espoir que vous m’apportez à présent par votre soutien. Merci !
Il y a des unions bénies et sereines, malheureusement il y en a qui ne marchent pas. Des drames de vie, des mères qui se battent pour leurs enfants, il y en a, et bien évidemment, jamais je ne vous aurais tous importunés avec les problèmes de ma vie privée, les drames de ma seule vie à moi. Ces problèmes là, nous en avons tous et nous prenons sur nous et les gérons, nous souffrons, nous relevons et nous avançons encore ou pas…
Mais il est inadmissible qu’au mépris de dégâts injustes dans la vie de femmes et d’enfants, les systèmes de justice européens cautionnent la violation de toutes les règles de souveraineté d’États africains, en niant, entre autres, la validité de leurs décisions de justice.
Si la Belgique peut encore utiliser le mandat d’arrêt européen pour détruire une mère africaine afin uniquement de l’amener à leur livrer injustement son enfant métisse malienne-belge, possédant les deux nationalités et ayant toujours vécu au Mali, il faut alors nous avertir si nous devons retourner aux époques des chants et poèmes d’esclaves, de Martin Luther King, ou celles de Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Nelson Mandela…. ces époques de combats pour rendre claire la notion d’égalité des races, des peuples du monde.
Parmi les 32 infractions pouvant justifier
l’émission d’un mandat d’arrêt européen ne figure pas la « non
représentation d’enfant » dont je suis accusée.
Dans le mandat
d’arrêt émis par la Belgique la « non représentation d’enfant » a donc été
requalifiée en «enlèvement, séquestration et prise d’otage ». C’est un
mensonge.
Le principe de l’interprétation stricte des infractions en droit pénal a été violé mais l’accusation « d’enlèvement, séquestration et prise d’otage » a permis de me classer dans la catégorie des grands criminels traqués par le mandat d’arrêt européen, interpellés en sortie d’avion par une équipe de six policiers, mis en garde à vue et extradés vers le pays émetteur européen dans les plus brefs délais.
Ça, c’est un problème!
Une telle loi, le mandat d’arrêt européen, d’une si grande violence, utilisée ainsi, permettant un tel irrespect des droits de l’Homme souligne une inquiétante tendance à l’expression d’une suprématie et d’une toute puissance européenne à l’égard de l’Afrique qui mérite questionnement et demande de clarification.
Tous les grands drames d’oppression, d’asservissement, de maltraitance du monde: l’esclavage, la Shoah, la colonisation, l’apartheid….. toutes ces grandes violations des droits de l’Homme ont commencé et se sont développées sur la base de lois absolument officielles, déclarées légitimes et de règles acceptées, respectées et appliquées sans égard aucun pour les peuples qui subissaient.
C’est ainsi que j’ai des craintes, au-delà de ma détresse personnelle, lorsque je constate qu’il est entendu et normal pour la justice française, dans le cadre du « grand mandat d’arrêt européen » qu’une mère de famille africaine, honnête travailleuse en charge seule de deux enfants, n’ayant jamais été auparavant impliquée dans des problèmes avec la justice, soit traquée, traitée comme une criminelle, extradée en Belgique.
Dans le traitement de ce dossier précis, l’attitude raciste de la justice belge est claire, elle est méprisante de la souveraineté d’un état africain, des droits d’une femme et d’une enfant africaines vivant en Afrique. »
Rokia Traoré
Auteure en Théâtre et Musique
Compositrice en Musique
Directrice de divers projets artistiques
Fondatrice de la fondation culturelle Fondation Passerelle au Mali
Paris le 31 mars 2020
NB: Le titre et le chapô sont de la rédaction.