Peintre ivoirien, Adama Traoré est une curiosité. Entre admiration et redéfinition de soi, le spectateur de sa technique de peinture se pose de multiples questions. Comment arrive-t-il à faire ça ? Qui lui a appris ? Comment se sent-il ?
Connu à l’entrée du grand centre commercial Sococé aux II Plateaux Cocody, le peintre a eu la reconnaissance de la Nation Ivoirienne. Prix d’Excellence des arts visuels, il participe à de nombreuses expositions au plan national. Ce 8 juin 2020, il a été reçu en audience par Raymonde Goudou Coffie, la ministre de la Culture et de la francophonie.
Nous vous proposons le portait que nous avons fait de lui en 2009 alors que de nombreux passants le prenaient pour un mendiant. « Adama Traoré : Je suis un artiste et non un mendiant ».
Dépourvu de ses membres supérieurs, il n’a pas voulu faire de sa situation un cas social. Adama Traoré dit Adamo pour les intimes, a décidé de se lancer dans la peinture. Loin d’être l’un de ces peintres éminents, la vie de l’artiste reste cependant un tableau à découvrir. Portrait.
Par A. SANOU
« A cœur vaillant, rien d’impossible ». Traoré Adama le sait bien. L’exercice de son art frôle l’insolite. En témoigne les embouteillages et autres discussions qui se créent, lorsqu’il se met à peindre en plein jour à son lieu de vente des tableaux. Installé à l’espace Lattrille (Sococé) aux II-Plateaux, le jeune peintre squatte le portail principal. Il est juste protégé du soleil par un parasol.
A le voir sous cet abri de fortune, certains pensent avoir affaire à un mendiant. Et même les tableaux encadrés qu’il expose juste à côté de lui, n’empêchent pas de « bonnes âmes » de lui donner de temps à temps des pièces. A ceux-là, le jeune homme est tenté de leur crier à la face : « Je suis là pour vendre mes œuvres, le fruit de ma création ».
Les toiles exposées auprès de lui sont ses propres œuvres. Du coup, se pose la question du comment. En effet, comment ce handicapé, privé de ses deux bras, arrive-t-il à peindre ? Est-ce vraiment lui qui confectionne les œuvres ?
L’homme conscient des interrogations qu’il suscite, fait taire les sceptiques par une démonstration hic et nunc. Il dessine séance tenante. Stylo (il dessine uniquement avec le bic) entre le menton et le bout de bras qui lui reste, Adamo s’applique avec une précision inimaginable. Et, peu à peu, sort sur le papier canson une image sublime à la hauteur de son art, un paysage de fleurs.
Le sérieux qui se lie sur son visage et la dextérité avec laquelle il fait ressortir les formes, suffisent pour convaincre. Mais, comment est-il arrivé là ?
De Treichville au centre ‘’La Providence’’
Né à Treichville le 1er décembre 1980, Adamo vit avec ses parents jusqu’à l’âge
de neuf ans dans la commune du maire François Amichia. Durant toute cette
période, il ne marche pas. Infirme mais aussi manchot (section naturelle des
deux bras juste au-dessus des coudes), ses parents ne l’envoient pas à l’école.
C’est tout naturellement le centre pour enfants handicapés « la Providence » à Abobo BC, dirigé à l’époque par une française, Marie Odile Bilberon, qui l’accueille. Cette dernière le prénomme François pour faire français. « L’objectif de Marie Odile était de permettre à tous les enfants handicapés (environ 200 enfants) du centre d’être autonome », se souvient-il.
« C’est ainsi qu’elle m’a appris à marcher, à parler le français, à me laver moi-même et surtout à dessiner. A part la lessive, je fais tout. Je me brosse, m’habille moi-même », reconnaît-il. Auprès de cette âme généreuse, François découvre une nouvelle voie pour affronter la vie : le dessin.
Il est très vite imprégné dans cet art, car, il avait des dons de dessinateur. Le jeune peintre est conscient de ses atouts : « Je dessine sur du papier canson au stylo. J’utilise la gouache pour faire les couleurs. Je fais moi-même les mélanges. Et, c’est là toute ma force. Ça aussi, je le dois à Marie Odile. Elle m’a appris à mettre les couleurs, à les harmoniser. C’est grâce à elle, que j’arrive à faire des choses moi-même aujourd’hui ».
Les couleurs qu’Adamo mélange éblouissent de part les combinaisons. Outre les mélanges académiques, le peintre est capable de faire ressortir des teintes dont il a lui seul le secret. Comme conseil, Mme Bilberon avait l’habitude de rappeler à Adamo : « Si tu ne veux pas que les autres personnes se foutent de toi, prend ton travail au sérieux ». C’est ce qu’il s’est efforcé de faire tout le temps qu’il a vécu au centre.
Le départ du centre
Seulement voilà. La formation au centre était trop rude et le créateur va se
mettre à dénoncer certaines choses qu’il ne partage pas avec sa bienfaitrice et
en réclamer d’autres.
« Un jour, ma mère, qui avait besoin d’argent, est venue en demander à Marie Odile. Elle a refusé. Et moi, je n’ai pas pu supporter son refus. Vu tout ce que je faisais (participation à des expositions à l’hôtel Ivoire et concours en France, confection de cartes de vœu qui se vendaient bien), je ne pouvais pas comprendre que Marie Odile ne donne pas un coup de main à ma génitrice », explique-t-il.
La suite de cette histoire amène Adamo à aller vivre chez des amis à Abobo en 2000. Mais, la situation est pire qu’au centre. « Pendant ce temps, quand les gens me donnaient de l’argent, je prenais. C’était une période de vache maigre. Je dormais parfois dehors », se rappelle-t-il.
Mais, avec un moral déjà forgé au centre, Adamo ne se sent pas bien dans la rue et pense qu’il a des choses à prouver. Il décide donc de mettre fin à cette dépendance. « A partir de 2005, j’ai décidé de ne plus mendier. J’ai pris l’engagement de mettre en avant ce que je savais faire ». Il quitte Abobo pour les II-Plateaux les Vallons.
Un passage ‘’amer’’ au cinéma
Installé devant la pâtisserie « Paco Gourmand », il commence à vendre ses
œuvres. C’est là qu’il fait la rencontre de Sidiki Bakaba, ancien Directeur
général du Palais de la culture. « Sidiki Bakaba est entré en contact avec moi
par l’intermédiaire de Adama Dahico. J’ai donc tourné dans le film ‘’Roue
libre’’ ». Mais, cette collaboration se termine en queue de poisson.
« Pour le tournage du film, Sidiki Bakaba m’a fait plusieurs promesses. Il m’a promis de l’argent et je n’ai reçu que 50.000 Fcfa. Il a aussi dit qu’il m’achèterait une voiture pour faire le transport et même qu’il m’ouvrirait un magasin (atelier), où j’exercerais mon métier. Mais, il n’a rien fait. Je suis plusieurs fois allé avec lui dans des rédactions de journaux, à la télé. Ça n’a rien donné. Je partais au Palais de la culture, mais un jour, j’ai tout arrêté », Regrette-t-il.
Bien que ne voulant plus revenir sur cette phase de sa vie, l’acteur de circonstance note le fait que depuis son apparition dans ce film, de nombreuses personnes pensent qu’il a reçu beaucoup d’argent et qu’il les aurait dilapidés.
D’autres personnes se sont empressées de lui promettre de l’aide. Après avoir fait ses photos et promis une possibilité de vendre ses œuvre à l’extérieur (Europe), N. K. par exemple, lui a retourné les photos avec une carte postale sur laquelle on peut lire ceci : « Désolée d’avoir mis tout ce temps. Ma santé n’est pas bonne. Bon courage à toi pour la suite ». Pour lui, peu importe car le cap est déjà mis sur l’avenir.
Des II-Plateaux les Vallons à Sococé
Aujourd’hui, Adamo vit à Adjamé-Macaci avec son frère où il loue une maison
(20.000 Fcfa/mois). Il ne vend plus ses œuvres aux II-Plateaux les Vallons mais
à Sococé boulevard Latrille, juste à l’entrée principale. Ce qu’il espère,
c’est d’avoir un lieu décent où il pourra faire ressortir tout son talent.
« Mon souhait aujourd’hui, c’est sortir mes œuvres de la rue. Si je suis bien installé, c’est là que je montrerai ma vraie valeur », soutient-il confiant. Selon lui, en une journée, il peut peindre un à deux paquets de papier canson (12 feuilles par paquet). Avec bien sûr en fond sonore de la musique. Surtout, celle du groupe zouglou, Espoir 2000 ou encore Molière.
Les prix de ses productions varient de 5.000 à 50.000 Fcfa (selon le format). Son art est figuratif et il représente le paysage, la nature. Il aime reproduire les fleurs, la beauté naturelle. Cette beauté qui n’est pas encore corrompue par les hommes.
Aujourd’hui, Adama Traoré dit être soutenu par des gens qui croient en lui. Des personnes qui ne voient pas en lui ce handicapé à qui il faut toujours tendre des billets de banque. Mais, des personnes qui lui reconnaissent des valeurs, sa capacité de toujours tendre vers le meilleur.
Si vous entrer à Sococé (Boulevard Latrille), vous le verrez sans doute, près du portail, des tableaux exposés à côté de lui. Ces fresques sont la raison de sa présence à ce lieu. Et, c’est lui qui les confectionne. Si vous en doutez, il vous convaincra séance tenante. Pourvu que cette démonstration ne crée pas d’accident, car quand Adamo est lancé il devient une attraction.
NB : En 2020, Adamo détient un
atelier à Sococé. Il est marié et vit à Abobo PK18.