Le cinéaste béninois Jean Odoutan disait «La culture sans ma culture m’acculture !». Une phrase oh combien symbolique ! La culture ou plutôt les cultures africaines -puisqu’elles sont multiples et diversifiées- tendent à disparaître peu à peu. On ne s’en rend pas bien compte actuellement, mais, d’ici peu, certains auront oublié ce qu’elles étaient. A qui la faute ? A personne et à tout le monde.
A personne, puisque les peuples ont d’autres préoccupations que la Culture, puis, en sociologie, l’acculturation -car c’est l’une des principales cause de la future disparition des cultures africaines, «désigne les phénomènes qui résultent du contact continu et direct des groupes d’individus ayant différentes cultures, ainsi que les changements dans les cultures originelles des deux groupes ou de l’un d’entre eux».
A tout le monde, parce que cette situation est voulue. Si l’on se place du côté des créateurs africains, dans n’importe domaine s’entend !, le plus important pour eux n’est pas de faire vivre leur art mais de vivre de leur art. Or, vivre de leur art devient de plus en plus difficile dans le pays de chacun. D’ailleurs, on peut s’en rendre compte avec la crise provoquée par le coronavirus, qui a accentué cette difficulté… Les créateurs vont essayer de plaire non plus à leurs peuples mais aux étrangers surtout aux Européens et aux Américains -c’est là où l’argent se trouve ! Ils peuvent aussi le trouver chez les politiciens selon… Adama Dahico et ce n’est pas une blague ! A l’occasion des Grands prix Afrique du Théâtre francophone 2010, événement qui s’est déroulé, cette année-là, du 07 au 10 décembre, l’humoriste ivoirien, le plus sérieusement du monde, a déclaré à un jeune présent parmi l’assistance : «Tu veux avoir une maison, une voiture ? Vas voir un politicien ! C’est là que l’argent se trouve !». Plus de neuf ans après la scène, je m’en souviens encore comme si c’était hier. Cela m’avait choquée et cela me choque encore. Indirectement, cet artiste avait demandé à ce jeune d’aller se «prostituer» et de prostituer son art…
Pour plaire aux Occidentaux, certains artistes vont adapter leur art. Le chanteur sénégalais Youssou Ndour, par exemple, lors de ses concerts en Europe ou ailleurs hors notre continent, supprime un instrument de musique pour ne pas «choquer» les oreilles trop sensibles. Cet instrument est le tougouné. Le mbalax en est quelque peu dénaturé… Côté théâtre, certains metteurs en scène vont opter pour des auteurs européens, notamment français ou belges ; ils auront plus de chance de «s’exporter» vers le Nord. Dommage, car nous avons de très bons auteurs africains non dénaturés. Parce qu’il y a aussi des auteurs africains dénaturés qui font choisir des thèmes montrant l’Afrique comme un continent de misère : guerre, sida, viol, etc.
D’autres vont présenter leur culture comme du folklore. Or, la culture n’est pas le folklore, mais le folklore fait partie de la culture. Certains films africains avaient tendance -et ont même encore tendance- a présenté les pays dont ils ont la nationalité à travers des images «folkloriques», faisant penser aux Occidentaux que leurs pays vivaient encore au temps de la «préhistoire».
Puis, il y a ceux qui n’ont pas réussi à faire le métissage entre leurs propres cultures et celles des autres, d’où l’importance de la phrase de Jean Odoutan «La culture sans ma culture m’acculture !». Ils sont soit happés par les cultures des autres, soit ils sont obligés de faire abstraction de leur culture. Ceci se retrouve beaucoup dans le cinéma, quand les coproducteurs européens imposent une vision qui est la leur mais pas celle du réalisateur. En 2002, sortait en Tunisie, «Le chant de la Noria» de Abdellatif Ben Ammar. Au départ, le réalisateur avait proposé comme actrice une Tunisienne noire. Veto de la coproduction française : pas d’actrice noire ! Pourtant la Tunisie possède une culture dont ses racines se trouvent en Afrique subsaharienne, comme le stambali, Bou Saadia, etc., héritée de deux faits. Le premier fait, et il ne faut pas se leurrer, est issu de l’esclavage. Le second du commerce et de la sédentarisation de certains nomades qui ont abandonné la caravane et se sont implantés dans le sud tunisien.
Là où l’on peut trouver une certaine réussite, c’est dans l’art de la rue, dans lequel la culture du pays se mêle à une culture venue d’ailleurs. Dans les tags et les graffitis, on retrouve toujours une référence à la culture du pays. Dans la musique rap, le métissage se fait, pour certains pays, comme le Sénégal, par la langue : une musique venue d’ailleurs mais un texte en langue nationale ou locale. Là, on ne peut pas parler d’acculturation…
Zouhour HARBAOUI