Corneille fait dire à Rodrigue, personnage principal de sa pièce «Le Cid», «Parle sans t’émouvoir. Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années». En toute sincérité, dans notre corps de métier qu’est le journalisme culturel, la valeur attend le nombre des années.
J’entends souvent les gens dire, et même certains journalistes : «Ce n’est pas compliqué d’écrire un article culturel ! Vous allez voir les spectacles, les films, etc., et vous écrivez dessus !». Ils croient que quoi ? Qu’on va regarder un match de foot et que l’on fait le descriptif de la partie : «Machin est en train de courir vers les buts adverses. Truc lui emboîte le pas ! Machin fait une passe à Muche. Muche reprend de la tête. Et buuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuut !». Je ne sais pas où ils ont été imaginés ça ! Vraiment hein !
Il est vrai que certains jeunes, débutant dans le journalisme culturel, peuvent faire des articles descriptifs, par exemple sur un tableau, ou raconter l’histoire d’un film ou d’une pièce de théâtre, ou encore dire que tel ou tel chanteur a interprété ça ou ça et que le public a dansé. C’est qu’ils n’ont pas encore la valeur du nombre d’années pour pouvoir «analyser» tel ou tel spectacle.
Ils se contentent, donc, de faire des articles descriptifs parce qu’ils n’ont pas la matière pour faire autrement, ou parce qu’ils sont limités par le nombre de mots, de caractères, de signes, etc. On l’a tous fait. On a tous commencé, un jour ou l’autre. Mais, au fur et à mesure, des articles, du nombre de spectacles ou de films qu’on allait voir, des années, etc., on a acquis cette petite couche de culture qui fait le plus.
Oui, Monsieur ! Pour rédiger correctement des articles culturels, ben, il faut avoir quand même une petite couche de culture, en plus d’une petite couche de culture générale. Cela n’est pas inné !
Etre journaliste culturel, ce n’est pas du chiqué ! Et ce n’est pas des formations en journalisme culturel ou en critique d’art qui font du jour au lendemain décrotter un mal dégrossi. Cela peut aider, peut orienter, mais cela ne peut pas donner la culture infuse. Parce que la culture, pour moi, c’est avant tout une sensibilité, une approche personnelle et non définie par des codes précis. Parce que ces codes précis peuvent ne pas appartenir à notre propre culture.
C’est vrai qu’il y a des standards. Mais, franchement, ces standards nous cloisonnent dans des carcans qui limitent la créativité. Puis, dans certaines formations, les formateurs apportent leurs propres regards sans se remettre en question -c’est comme ça, puis c’est tout !- et, surtout, sans permettre aux formés de «défendre» leurs propres avis et opinions.
Perso, je trouve que la meilleure des formations, c’est l’autoformation surtout en début de carrière : ne pas arrêter d’aller voir des spectacles, des films, des concerts, des expositions, etc., tout le temps, même si cela peut être barbant, et écrire, écrire, écrire, encore et toujours. Puis, pour les jeunes qui débutent, il ne faut pas qu’ils hésitent à demander des conseils auprès d’aînés. C’est vrai qu’il y une certaine barrière entre les anciens et les nouveaux. Mais, un vrai aîné doit aider les plus jeunes. Parce qu’un ancien a été un nouveau ; et même s’il n’a trouvé personne pour l’aider ou le guider, il ne doit pas se venger sur les nouveaux. Et les plus jeunes doivent accepter les conseils des aînés, même s’ils n’en tiennent pas compte ; et, ils doivent faire preuve de modestie, car, comme je l’ai écrit, pour écrire des articles culturels, il faut avoir une petite couche de culture. Et cette petite couche de culture n’est pas innée.
Donc, vous voyez monsieur, la valeur attend, bien, le nombre des années. Même si, pour certains, cette valeur n’arrive jamais, même si on les leurre en leur faisant croire qu’ils sont les meilleurs ! Ils oublient la pomme de Newton…
Zouhour HARBAOUI