Hommage à feu Soilé Cheick Amidou
La littérature, c’est assez souvent la projection des lumières et des ombres de l’existence humaine. Elle n’échappe guère à la dualité naturelle et séculaire Bien-Mal et ses corollaires : bon-mauvais, colombe-aigle. Et les thèmes foisonnent. Comment passer sous silence celui de l’attrait de la femme ?
Pour ce qui est de cette image de la femme, plusieurs auteurs suivent les sillons des mythes originels. Les portraits d’Eve (la femme qui poussa Adam à commettre le Péché) et celle de Marie (la sainte, la génitrice de Jésus) transparaissent dans les trames des œuvres littéraires. Le démon et l’ange, la diablesse et l’héroïne, ce double visage de la femme est présent partout.
Parfois, les personnages féminins ont une image très peu reluisante. Ce n’est pas Emma dans « Madame Bovary » de Gustave Flaubert qui nous contredira, elle qui, désillusionnée par sa vie morne et triste, se laisse croquer par des hommes peu scrupuleux de son acabit. Elle a cru renaître de ses cendres dans l’adultère. Peu à peu, c’est la descente aux enfers. Emma Bovary, l’éternelle insatisfaite.
En lisant « Les liaisons dangereuses » de P. Choderlos de Laclos, l’on voit jusqu’où la femme peut aller pour arborer la casaque du Mal. Blessée et enragée, la marquise de Merteuil est désormais une femme dominée par l’esprit de vengeance. Elle s’avère stratège et manipulatrice. Son orgueil la rend perfide, cruelle et cynique à l’égard de Cécile Volanges et Madame Valmont. Par la force des choses, elle est devenue le parangon du mal. Elle le proclame elle-même dans ce « manifeste » lugubre. Lisons : « Quand j’ai à me plaindre de quelqu’un, je ne persifle pas ; je fais mieux, je me venge ». Cette peinture semble corroborer la disposition d’esprit qui tend à noircir la perception que l’on a du sexe dit faible.
Par ailleurs, dans le souffle de la succulente littérature africaine, dans son recueil de nouvelles « Un instant d’hésitation », l’Ivoirien Inza Bamba fait camper à Marcelline Tipi un rôle d’amante dont le cœur est embrasé par les flammes dévorantes, une femme consumée par l’amour et la jalousie, une tigresse qui va jusqu’à commettre le crime passionnel. Et qui reconnait son forfait pour subir la rigueur de la loi.
Au contraire de l’affreuse Sogolon Kédjou aux entrailles prodigieuses dont le mariage est le socle de la rédemption du royaume manding à travers son fils princier Soundjata, la sublime Miella, elle, dans l’échafaudage de « Gloire et Déclin apocalyptique » de Macaire Etty, à vol d’oiseau rapace, apporte la guigne. C’est le symbole de la femme fatale qui brise l’élan victorieux des plus grandes citadelles pour les jeter dans la gueule des flots de la débâcle. Ainsi flétrit et mourut le règne de Tounka, le Roi-Courage qui s’est fait happer par les vertiges et délires de l’amour. Comme quoi, la beauté physique peut cacher les dards mystérieux de l’épouvantable apocalypse. On le voit, le personnage d’Etty, dans les marais de la peinture, véhicule une image contrastée de la femme. Ange et diablesse. Et l’on pourrait continuer d’égrener le long chapelet de ces personnages ou sujets-objets qui brillent par la ténébreuse facette de leur jeu.
Cependant, ce n’est pas forcément cette image ambivalente, sombre voire dépréciative que véhicule par exemple Jean Anouilh à travers le personnage d’Antigone, une héroïne particulière. Elle affronte et vomit le pouvoir de Créon, son oncle, en choisissant la mort. Que dire d’Eugénie Grandet, la marquise que Balzac a rendue vertueuse et charitable après son passé grigou?
Par ailleurs, dans « Elise ou la vraie vie » de Claire Etcherelli, Elise qui s’offusque du racisme ambiant a aussi de belles attitudes à faire valoir pour idéaliser l’image de la femme. D’autres personnages féminins comme Iphigénie de Racine et la jeune Darby Shaw dans le labyrinthe de « L’affaire Pélican » de l’Américain John Grisham ennoblissent également cette peinture.
Munie de son courage et sa témérité, Darby enquête sur les meurtres de deux juges de la Cour Suprême aux Etats-Unis. Bravant les pratiques mafiosi de l’establishment politique et ses laquais, au risque de sa tendre et prometteuse vie, l’étudiante en Droit décide de faire la lumière sur ces crimes crapuleux pour redorer le blason du droit et sublimer la justice. C’est une entreprise épique vu la montagne d’obstacles qui se dresse devant sa volonté. N’est-ce pas là une hymne pour dire les louanges pour la femme ?
Quant aux écrivains négro-africains, ils sillonnent la même trajectoire que les auteurs français et autres. Comment peut-on raisonnablement ignorer les dieux qui ont créé les personnages comme l’intrépide guerrière et convaincante oratrice Grande Royale de Cheikh Hamidou Kane (« L’aventure ambiguë »), la syndicaliste Penda aux côtés de Bakayoko (« Les bouts de bois de Dieu » de Sembène Ousmane), la jeune tonitruante et jusqu’auboutiste Chantal Ozoua de Irié Mathurin (« La lycéenne »), Salimata de Fama, la généreuse femme souffre-douleur au ventre pauvre comme un rat d’église (in « Les soleils des indépendances » d’Ahmadou Kourouma) ? Que retenir de Madame Christophe lorsqu’elle joue pleinement son rôle de Conseillère discrète pour attirer l’attention sur les dérives de son époux pris dans le tourbillon de la gloire et de la tragédie comme Tounka ?
La plume d’Aimé Césaire se fait lyre sur cette scène pour nous exposer le rôle ô combien essentiel de certaines reines. N’a-t-on pas coutume de psalmodier que « derrière un grand homme se trouve une grande dame » ? Et puis, pour peindre et magnifier la femme, la poésie ne fait point dans la dentelle. Retenons ces pièces inoxydables et intarissables sculptées pour la postérité, respectivement par Charles Baudelaire, Senghor, David Diop qui pourraient revigorer la superbe de tout membre en détresse érectile ou spirituelle : « A une passante », « Femme noire » et « Rama-Kam ». Toutes ces images ne sont-elles pas bien taillées dans le marbre de l’exemplarité pour encenser la femme à juste titre? Avec mesure, les commentateurs littéraires tresseraient des lauriers pour certaines afin de les élever au rang d’héroïnes.
En définitive, le long de son odyssée dans les œuvres littéraires, l’on remarque que la femme n’est ni démon ni ange exclusivement. Ces mondes créés sous la plume des créateurs sont le reflet de la société, d’hier à aujourd’hui. Le filament ne peut être rompu entre ces époques, ces destins, ces images qui nous plongent profondément dans les tribulations de notre nature. La femme, c’est l’homme. L’être humain est-il agneau ou loup ? Point n’est besoin de ressusciter Rousseau et Hobbes. On les a compris.
Par feu Soilé Cheick Amidou
Critique littéraire