Avec « Le conflit », il avait commencé à tracer les sillons de la pugnacité de sa plume. Et, « Être un homme » vint confirmer, révélant l’écriture coriace, onctueuse et foncièrement psychologique, le talent d’un écrivain né avec ses dents de sagesse. Lancé tel un projectile dans le champ littéraire francophone, Béira Ehi Marc continue de faire feu de tout bois, que dis-je, de tout papyrus. Résultat des courses sous hypnose ? « La trappe ».
Par feu Soilé Cheick Amidou
Piège existentiel pour procréer ou exposer une tragédie, des tragédies. Celles de Mappassan, un individu né décédé pour boire la ciguë de la vie, de la libidineuse crapule Maria, de l’hideux maître chanteur Toklan furetant sous des jupons « interdits », et bien sûr, les mésaventures des cœurs saccagés de Mariétou puis Mirrolli, coupable d’un double homicide…
« La trappe », c’est l’histoire d’un homme atypique resté un Africain authentique voire aborigène malgré son commerce poussé avec l’Occident. C’est aussi des coups de pioche dans les psychologies des personnages. Finalement, les bons, à l’image de Mariétou, sont très rares comme la pluie dans le désert et les esprits tordus foisonnent. Mapassan, quoique rigoriste, Maria la peste, Toklan le vicieux cachotier, Mirroli, méchante et pistolero sont des prototypes de personnes qui devraient pousser l’humanité à s’interroger sur le sens de l’humanisme, la vie en société, le vivre-ensemble. Né mort, laid et handicapé (les choix de la nature), raillé, Mapassan, à l’automne de sa vie, n’échappe pas à l’étau des serres de l’existence. Il est pris dans la tenaille entre deux jeunes femmes : les impitoyables griffes acérées de Maria et l’affection pure de Mariétou. Dans l’état final du récit, à l’agonie sur un lit d’hôpital, l’authentique Africain vit le temps des regrets, des remords ; la saison de l’amertume et des lamentations. Comme quoi, tout le monde n’est pas apte à triompher dans le jeu de la vie.
Dans les bas-fonds de cette trame béiraesque, des cœurs et des âmes froissées gisent sur le bas-côté escarpé du boulevard de l’existence. Béira Ehi Marc, en juriste rigide dont le rêve est de faire briller le sublime droit, boussole de la vie en société, nous délivre ici un vigoureux message : les méchants doivent payer pour le mal et les turpitudes dont ils sont coupables. Tel des adeptes de loges, l’avocat fait camper majestueusement la loi de la nature et de la cité à travers le karma. Malheureusement, parfois, des colombes (Mariétou) plongent avec eux.
Ce récit couillu et plus qu’érotique par endroits (Ah ces parties déjantées de jambes en l’air !) dévoile des portraits. Mariétou, réservée et humble, amoureuse, abandonnée, présente au chevet de Mappassan pendant la période de disette, les tranches cataclysmiques de vie (l’altération des facultés mentales, la folie), symbolise la femme qui a un cœur, et non une pierre à la place de celui-ci. Quant à Maria, l’universitaire, c’est elle qui piégea Mappassan dans un traquenard immoral en s’emparant du fiancé de sa meilleure amie. La morale s’est affaissée et les hommes la piétinent. C’est le bourreau de Mariétou, la sobre, la bien éduquée. Elle disparaît dès les premières rafales de l’orage dégénérant qui frappa Mappassan. Voici le spécimen de la femme sans morale ni humanisme.
Que dire de l’écriture ? « …les yeux hagards de Mappassan, embués de larmes, regardaient dans la direction de Mariétou sans vraiment la voir tandis qu’elle égrenait ce chant qui transportait son être vers les abysses du chagrin » (P.225). Oh quelle métaphore ! Les âmes sont contrites, dévastées, décapitées. Dans cette saillie, l’on perçoit la profondeur du chagrin qui, comme une géhenne, dévore tout sur son passage. L’auteur joue de manière jubilatoire des ressources des morphèmes. Stylème, subjectivème et style fleuri d’ornements stylistiques (des fleurs de rhétorique) sont les marques de fabrique de Béira. Une vraie saveur narrative tirée de l’humus des cœurs effilochés. Chacun a sa mission. Un cœur, ça fait naufrage un jour après s’être fourvoyé dans les flots de l’ivresse passionnelle, un cœur, ça pleure quelques fois, puis renaît de ses cendres fumantes. Un artiste, ça écrit de sa voix, sa plume… pour fixer la vie qui va mourir un jour définitivement. C’est tout cela offrir des gamelles de bonheur aux lecteurs.
À la vérité, le bistouri de l’écrivain-avocat est si poli et si virevoltant que l’on ne peut que succomber au charme envoûtant de l’huître conçue, avec son aspect, son intérieur et finalement sa perle. Avec ce romancier de la République des Lettres Ivoiriennes, écrire revient à peindre, non pas en vohou-vohou, avec un pinceau dont l’encre est mesurée, jaugée et posée sur la toile. Pour nous dire que nos faiblesses honteuses ne peuvent jamais faire le lit de la dignité.
Béira Ehira Marc, « LA TRAPPE », éd. FUMA, 230p, 2017
Soilé Cheick Amidou
Critique littéraire