«Mignonnes» de la réalisatrice franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré est un film tout en fraîcheur sur les conséquences des problèmes que peuvent rencontrer des pré-adolescentes.
Zouhour HARBAOUI
On a beaucoup parlé d’hypersexualisation de pré-ados concernant le long métrage de la réalisatrice franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré, «Mignonnes». Ceux qui insistent sur cette hypersexualisation n’ont rien compris au film. Danser de manière lascive n’est pas de l’hypersexualisation mais une des multiples manières qu’ont les pré-ados et les ados pour échapper à leur quotidien et surtout à leurs problèmes.
Déjà si l’on regarde bien, l’âge choisi par la réalisatrice pour ses personnages principaux est 11 ans. Onze ans, c’est l’entrée en sixième (première année secondaire). Sixième, c’est sortir de l’école primaire pour entrer au collège. On passe de plus âgés de l’école à plus jeunes de l’établissement. Donc, 11 ans c’est une charnière entre deux mondes.
D’autre part, Amy (Fathia Youssouf) et Angelica (Médina El Aidi-Azouni) ont, chacune, des problèmes personnels. Amy emménage avec sa mère et ses deux frères dans un appartement et apprend par accident le mariage de son père avec une seconde femme, qu’il ramènera avec lui de retour du Sénégal. Sa mère doit faire bonne figure encouragée par la tante, une vieille matrone qui continue à vivre comme les traditions du pays, et organiser le mariage de sa coépouse.
Angelica est considérée par sa famille comme une bonne à rien mais aussi une «bonne à tout faire». Ses parents tiennent un restaurant et ne s’occupent plus de leur fille. Elle est souvent dans le local des machines à laver…
Tiraillements
Le film ne dévoile pas les problèmes de Coumba (Esther Gohourou), Jess (Ilanah Cami-Goursolas) et Yasmine (Myriam Hamma). Elles sont comme des personnages secondaires. Elles suivent leur chef de file qu’est Angelica. Elles sont là comme pour montrer la diversité et l’interculturalité.
Ces toutes jeunes filles ont trouvé une échappatoire à leur vie : la danse.
Amy est tiraillée. Tiraillée par la micro-société dans laquelle elle vit et la société de dehors. Tiraillée entre les interdits et ses envies. Tiraillée dans son corps : elle est à la fois et encore une enfant, mais quand elle a ses premières règles on lui dit qu’elle est une femme. Ses actions et ses actes dénotent de ces tiraillements. Quand son cousin récupère son portable, elle est prête à se dévêtir devant lui pour lui reprendre le téléphone. Quand on la moque sur les réseaux sociaux à propos de sa culotte de petite fille, elle photographie son pubis et le poste.
Les tiraillements prendront fin lorsque l’on voit Amy sautait à la corde et, au fur et à mesure, s’élevait vers le ciel, le sourire aux lèvres.
Amy arrive dans son nouveau quartier et dans son nouvel établissement scolaire. Son environnement familial est comme celui du pays, avec une matrone qui veut tout commander car se voulant gardienne des traditions culturelles et cultuelles, jusqu’à faire subir à Amy une séance d’exorcisme. La pré-ado doit s’occuper de ses deux petits frères. Pour elle, voir des filles de son âge s’habiller comme des femmes et former un groupe de danse pour participer à un concours, c’est un moyen de fuir le carcan où elle se trouve. Carcan qui la poursuit même dans la rue ; la réalisatrice ayant fait un petit clin d’œil sur la «barrière» en fer, qui sépare la rue de la voie ferrée, d’où Amy voit pour la première fois les filles danser et où l’on peut lire DKR, acronyme ou code pour Dakar, capitale du Sénégal. Peut-être aussi un clin d’œil à la chanson de Booba, «DKR»…
Entre K-pop, J-pop et twerk
Les jeunes filles font une chorégraphie à la manière des groupes de K-pop (Korean-pop) ou encore des J-pop (Japan-pop). A la suite d’une dispute entre Angelica et Yasmine, Amy va intégrer le groupe et va mettre du twerk dans la chorégraphie. Le twerk est une danse sensuelle qui n’est pas sans rappeler le mapouka et le soukous, avec des mouvements des fesses et du bassin assez sexuellement significatifs. Mais ça, Amy ne le voit pas. Ce qu’elle voit, elle, c’est gagner le concours ! Et tout est bon pour elle : voler un smartphone, voler de l’argent à sa mère, et essayer d’évincer Yasmine de façon brutale quand cette dernière sera réintégrée dans le groupe et reprendra sa place qu’Amy avait occupée.
La première séquence du film, juste avant le titre, pourrait faire penser que la réalisatrice donne la chute. Amy, fardée, en pleurs, avec des paillettes lui tombant autour, ferait penser que la gamine a gagné le concours et l’on se dit pourquoi regarder ce film. Or, en pensant cela on passe à côté de la plaque et on se prend, quelque part, une claque.
Deux faces de la religion
La religion est présente dans «Mignonnes» à travers deux personnages : la matrone et El Hadj représentant deux faces de l’islam. La première est un islam «culturel» ; ce que nous appelons un islam «culturel» c’est un islam «réinterprété» par les hommes : la femme doit obéissance à son mari sinon c’est une mauvaise femme, etc. On l’entend quand Amy et sa mère participent aux séances d’«éducation religieuse». La seconde est donnée par El Hadj à qui la mère a fait appel pour «exorciser» sa fille après que la tentative de la tante n’ait pas marché. Il dit à la mère : «Je sais ce que tu vis avec ton mari est très difficile, mais sache que Dieu n’a jamais fait supporter aux femmes ce qu’elles ne peuvent pas supporter. Si le fardeau que tu vis ici est trop pénible, il est de ton droit de te libérer de ce mariage. (Et en montrant Amy) Mais sache qu’ici, il n’y a ni diable ni esprit». El Hadj a très bien compris qu’Amy souffrait du mariage de son père avec une seconde épouse. Il montre aussi que dans la religion musulmane, même si les hommes ont le droit, sous certaines conditions, à quatre épouses, il n’en reste pas moins qu’ils doivent demander la permission à leur première femme et cette dernière a le droit de refuser…