Cette édition, un peu particulière, des Journées Cinématographiques de Carthage -Covid-19 oblige !-, a fait remonter en moi l’ambiance des années précédentes (les plus anciennes)…
Du plus loin que je me souvienne, les Journées Cinématographiques de Carthage, de leur petit nom JCC, étaient un festival dans toute sa splendeur et dans toute sa grandeur. Depuis 1998, je suivais les éditions -alors biennales et non annuelles. J’ai manqué trois éditions : 2010, parce que j’étais au Bénin, 2015 -édition que j’ai carrément boycottée-, et cette année, parce que j’ai vu la plupart des films proposés, puis j’aurais l’occasion de voir les avant-premières une autre fois. Pourquoi sortir de chez moi, par un temps de froid, dans une ambiance malsaine, non pas à cause de la pandémie mais à cause de l’insécurité qui règne à Tunis, même si les forces de l’ordre sont sur le qui-vive en cette période de festival -mais les criminels de tout acabit n’ont plus peur de «Grobid» et de «Groder» ! ? Puis, pour moi, cette édition n’est pas neutre. Evidemment, il y a les projections presse pour les films en avant-première : trois tunisiens, un ivoirien et un palestinien. Mais, sincèrement, me lever très tôt pour aller voir une projection à 10h, et être dépendante d’un transport en commun -en l’occurrence le métro- dont les horaires sont défaillants, ce n’est vraiment pas mon truc.
Je me souviens des JCC depuis 1998, lorsqu’on attendait avec impatience les années paires pour la nouvelle édition, puisque, jusqu’en 2015, elles étaient biennales en alternance avec les Journées théâtrales de Carthage (JTC). Années paires, années impaires. Pour moi, cela a été une bêtise de les faire annuelles. D’une part, cela leur a retiré tout leur charme, et de l’autre on en faisait une pâle copie de certains festivals mondiaux, comme celui de Cannes…
Une course pour voir les films
Je me souviens des JCC, lorsqu’on courait d’une salle de cinéma à l’autre, selon les séances, pour aller voir les films. On se croisait avec des amis, des collègues ou des connaissances, et on s’interpellait les uns les autres, pour savoir quel était le programme de chacun. Il m’arrivait d’aller voir trois films par jour. Il n’y avait pas besoin de faire des réservations ou d’aller chercher ses tickets à l’avance ; c’était au petit bonheur la chance. De toute manière, j’évitais les films pour lesquels je savais qu’il y aurait une grande influence. La plupart était des longs métrages tunisiens. Point de nationalisme ou de patriotisme de la part du public tunisien, mais il faut comprendre que, durant les JCC, le prix d’entrée aux projections était accessible à toutes les bourses, alors qu’en temps normal (en cours d’année), il faut débourser entre deux fois et cinq fois le tarif durant le festival… Depuis que les JCC sont devenues annuelles, il faut réserver à l’avance pour avoir une place. Ce n’est pas plus mal, puisque cela permet d’avoir la garantie de ne pas se retrouver à la rue pour cause de «complet», mais de l’autre cela enlève les «surprises». En effet, quand il n’y avait plus de place pour le film que l’on voulait voir, on courait vers une autre salle et l’on regardait le film qui nous tombait sous la main ; c’étaient vraiment des découvertes auxquelles on ne s’attendait nullement. Maintenant, cela est un peu dur de passer d’une salle de ciné à l’autre sans réservation, et, surtout, du fait que la Cité de la Culture a cassé cet équilibre. Pas mal de projections ont lieu là-bas, et si l’on n’a pas de réservation, il est difficile d’aller courir au centre-ville pour aller dans une autre salle, à moins d’avoir des ailes ou de posséder le don de téléportation…
Par contre, je ne participais jamais aux rencontres, débats et autres forums, parce que, pour moi, ce n’était que du «blablabla» qui n’aboutissait à rien ou presque.
Une innovation qui a duré une édition
Il y avait quelque chose d’intéressant qu’a fait la productrice Dora Bouchoucha quand elle était à la direction des Journées Cinématographiques de Carthage, en 2014. Elle avait organisé une salle dans laquelle les journalistes couvrant le festival pouvaient venir voir les films programmés, une sorte de VOD (des vidéos à la demande). Cette innovation, qui n’a pas été réitérée par la suite, a permis plusieurs choses : les journalistes pouvaient voir plusieurs films en une journée et selon leur bon vouloir, ce qui leur permettait de combiner leur travail dans leur rédaction et leur travail sur le terrain -certaines rédactions voyaient d’un très mauvais œil que leurs journalistes s’absentent pendant une semaine pour aller voir des films, même si c’était pour le boulot ; cela leur permettait de mieux se concentrer sur les films -en effet, et malheureusement, certains spectateurs utilisent les salles obscures à d’autres fins que celui de voir une œuvre ; et enfin cela laissait plus de place dans les salles au public.
Je me souviens des JCC lorsque l’avenue Habib Bourguiba, centre-ville de Tunis, là où se situaient la plupart des salles de cinéma, était animé de mille et un feux et du grouillement des passants, malgré le froid qui mordait les chairs. Les cafés et autres petits commerces de restauration (vendeurs de crêpes, de sandwichs, etc.) travaillaient à plein régime, jusque tard dans la nuit. C’était une semaine vraiment festive. Les ouvertures et les clôtures se faisaient dans le cadre du théâtre municipal, sis sur l’avenue Habib Bourguiba. Alors pas besoin de tenue de soirée et black pie exigés. Il suffisait de s’habiller de manière convenable pour assister aux cérémonies.
Manque de neutralité
Depuis quelques éditions, les organisateurs ont voulu faire dans le fastueux : tapis rouge, tenues de soirée, invités de marque «dégriffés», etc. Les Journées Cinématographiques de Carthage ont perdu tout simplement leur essence première pour devenir un festival de «m’as-tu vu ? Je suis là !». De festival militant, elles sont passées à festival d’étalage, de copinage, et de «dictature». Par exemple, pour cette année, Chiraz Latiri, ancienne directrice générale du Centre National du Cinéma et de l’Image (CNCI), ancienne directrice des JCC par intérim en 2019 (suite au décès de feu Nejib Ayed), et ancienne ministre des Affaires culturelles (poste occupé six mois courant 2020, soit de mars à août), est persona non grata…
Une édition qui n’est pas neutre dans la programmation. En tant que, respectivement, directeur et directeur artistique, Ridha Béhi et Ibrahim Letaief n’avaient pas à programmer leurs œuvres. «Soleil des hyènes» long métrage du premier, et «Visa» court métrage du second. L’on peut aussi se demander sur quels critères ont été sélectionnés les anciens films tunisiens programmés, du moins ce qui n’ont pas obtenus de prix, lors des sessions précédentes. On peut également se poser la même question sur certains invités et l’absence d’autres d’importance…
Cette édition est particulière et non pas, comme on veut absolument le faire croire, exceptionnelle ! Car l’adjectif «exceptionnelle» a une connotation de merveilleux et de fantastique. Particulière, oui, non pas à cause de la pandémie, mais de revanche. N’oublions pas qu’Ibrahima Letaief avait été limogé après la 27e édition des JCC (2016) à la tête de laquelle il était, et appelé à rendre des comptes sur sa gestion de l’événement. Quatre ans plus tard, il se retrouve directeur artistique des JCC… Mais, il semblerait qu’il ait tout simplement remplacé, officieusement, Ridha Béhi, directeur fantoche…