Vendredi 18 décembre 2020, l’Institut français de Cotonou reçoit sur la scène du théâtre de la verdure, la pièce ‘’25 décembre’’, jouée par Nathalie Hounvo-Yèkpè et Florisse Adjanohoun. Des réalités de la sphère politique à celles d’un peuple opprimé et fatigué, cette pièce met en lumière deux mondes et la complexité qui les unit, pour le meilleur et pour le pire…
Par Julien Tohoundjo
« La démission n’est pas un jeu d’enfant ». Et la pièce de théâtre ‘’25 décembre’’, mise en scène par Didier Sèdoha Nasségandé (comédien, conteur et metteur en scène béninois) livre de nombreux enseignements au public. Installés dans une salle très peu éclairer du théâtre de la verdure, les spectateurs attendent le démarrage du spectacle programmé. Seule une lumière de l’extérieur permet aux nouveaux venus de repérer un siège vide. Dans cet environnement sombre, les spectateurs, plus de 50, gardent le silence absolu. De loin, personne ne peut remarquer de présence à cet endroit ; seules les lumières sont visibles.
C’est suite aux propos introductifs de la directrice de l’Institut français que Mathilde et Elisabeth font leur entrée en scène. Il sonnait 20 heures trente minutes. D’une voix percutante, les deux actrices apparaissent sur scène en se faisant des reproches. C’est à croire qu’elles font des reproches à une personne, par rapport à sa forme physique ou son choix de vie. Une caricature verbale qui provoque des éclats de rire. Sans être perturbées par le bruit du public, les comédiennes poursuivent leur jeu. Il s’agit de la retrouvaille de deux amies. Deux amies qui ont vécu, pratiquement, dans le même milieu, qui ont connu les mêmes réalités et partagé le même homme sans que Mathilde ne le sache.
Loin des feux d’artifice de la fête de Noël, les deux amies conversent au fond d’une cellule. A travers les expériences et les péripéties de la vie, certaines personnes changent d’attitude et deviennent soit dangereuses, soit gentilles. C’est ce que fait comprendre Nathalie Houvo-Yèkpè dans la peau de Elisabeth la première dame. En effet, dans son adolescence et même à un certain moment, Elisabeth était une femme naïve, douce et aimable. Puisque la vie de deux êtres n’est pas liée pour toujours, les deux amies ont, chacune, emprunté leur chemin pour avoir un avenir.
Avec le temps, Elisabeth s’est engagée dans la politique. Dans ce domaine, elle s’est engagée tout en changeant sa carapace de fille gentille, aimable. Dans son combat politique, elle va à l’encontre des mœurs et seuls ses intérêts comptent. Ainsi, un innocent peut être sacrifié afin de servir les intérêts des politiques. De son côté, Mathilde, personnage incarné par Florisse Adjanohoun, défend les intérêts du peuple. Son engagement s’est fait à travers l’art, son instrument de combat. Cet instrument, pour Mathilde, est un symbole d’espoir pour la population, la société. Lorsque le gouvernant a constaté la menace que représente Mathilde, cette dernière fut mise aux arrêts et déposée dans une prison où elle seule peut s’entendre parler.
De l’amour à la haine
Dans la nuit du 25 décembre, Mathilde reçoit la visite de son amie d’enfance, Elisabeth. Entre les deux personnages se mène une conversation mouvementée. Mise en garde, injure, leçon de morale sont des propos grossiers que la première dame lance à son amie à chaque occasion. Cette dernière veut convaincre son amie de cesser de monter la population contre le pouvoir en place. Malgré toutes les propositions, les meilleures, faites par la première dame à son amie, cette dernière ne se laisse pas dissuader. Promesse de fuite de sa prison, possibilité de reprendre une nouvelle vie ailleurs et d’être riche et autres propositions.
Mais dans la tête de Mathilde, il n’y a qu’une seule proposition qui passe : lutter pour la bonne cause dans l’intérêt de tous. Pour elle, le tout ne se résume pas à l’argent. Cette liberté que cherche Mathilde, Elisabeth veut lui offrir par la corruption. Entre la première dame et la prisonnière politique, deux mondes s’entrechoquent. Des souvenirs remontent et chacune d’elles se raconte les beaux moments passés au sein de la chorale St Antoine où les deux se sont connues. Puisque l’amour, la tendresse et l’humilité sont plus forts, Mathilde a fini par gagner le cœur de son amie Elisabeth. Tout en se servant de ces souvenirs, de la meilleure personne, aimable, naïve qu’était Elisabeth, Mathilde a fini par permettre à son amie de voir le bon côté des choses. « Elisabeth, tu n’es pas capable de faire du mal à une mouche, même pas à une personne. Tu es si jeune, naïve et aimable. Non, je n’ose pas croire que tu es devenue une autre personne », insiste Mathilde. Avec des éclats de rire, Elisabeth répond : « Eh bien, cette Elisabeth que tu avais connue n’existe plus. Cette petite fille naïve, attentionnée, aimable est morte et ensevelie ». Elle essaie de faire comprendre à son amie que la politique n’est pas un jeu. Mathilde demande à son amie de démissionner de sa carrière afin de le suivre loin de ces événements ignobles et inhumains. « La démission n’est pas un jeu d’enfant », lance Elisabeth. Mais justifiant ses choix de la vie, Elisabeth décide de donner une seconde chance à son amie.
Liberté ou vivre pour soi
C’est cette nuit que Mathilde va être livrée à la justice pour une peine capitale. En entendant le cortège approché, Elisabeth déclare à son amie : « Cette nuit, l’une d’entre nous doit perdre sa vie et je refuse que ce soit toi, Mathilde. Quitte ici en courant et ne t’arrête surtout pas. Va-t’en d’ici, Elisabeth ! ». A plusieurs reprises, Elisabeth crie pour que son amie s’en aille. Celle-ci a fini par comprendre le choix d’Elisabeth et en laissant un signe de tristesse sur son visage, en chantant, Mathilde s’éloigne de son amie. Elle a quitté la scène en ayant une chanson à la bouche. Cette mise en scène fait comprendre que la prison n’est pas le seul milieu carcéral que nous subissons dans la vie, les décisions que nous prenons au quotidien se retournent contre nous. Ainsi, nous pouvons nous retrouver limité dans ce que nous faisons, limité dans nos choix. Dans cette mesure, nous ne sommes plus libres. Ce que nous faisons, d’une manière ou d’une autre, détermine notre liberté d’être. « 25 décembre » est une pièce qui met en exergue les réalités de gouvernance politique en Afrique.