Né en 1972 à Yaoundé au Cameroun, d’un père bijoutier et consul honoraire du Sénégal, Ousseynou Nar Gueye est un ingénieur de projets, expert en propriété intellectuelle, éditorialiste et communicant. Ces qualités, vous les retrouverez dans l’œuvre du Sénégalais parce qu’elles lui collent à la peau. Expert de l’organisation des producteurs phonographiques du Sénégal, on le retrouve également au Conseil National du Patronat du Sénégal dans l’industrie musicale. Ousseynou Nar Gueye a publié sa première nouvelle dans le cadre du concours mondial «3 heures pour écrire », organisé par l’association française Presse en 1999, ou il se classe troisième de la sélection « Français Langue étrangère. ‘’Waïyyendi m’a tuer* » qui vient de voir le jour en cette année 21 est en coédition avec la librairie numérique et kiosque digital « Youscribe proposé par Orange ».
Résumé
Dans ‘‘Waïyyendi m’a tuer*’’, Karbala est le bras droit de Waïyyendi, qui est la star du ‘‘champ des chants à rythme ternaire’, musique que seuls ses habitants savent apprécier et danser, en raison de son caractère syncopé, qui agit comme un exorcisme sur eux et leurs angoisses existentielles au pays de Nittie, sur le continent dénommé la Négritie. L’intrigue débute dans ce roman quand Karbala s’oppose à 2 co-sociétaires de son patron au sein d’une association sur la question de la stratégie pour la loi sur la rétribution indirecte des chants. Karbala s’oppose aussi à son patron Waïyyendi quand celui -ci prend le parti des sociétaires en question. Dès lors, Karbala réclame le paiement d’une ‘‘hache d’argent’’ à Waïyyendi, et de diverses prestations aux deux autres co-sociétaires, Baaboune Kathé et Akiboul. Dans un retournement de situation, il s‘ensuit un procès intenté par les trois contre Karbala. Karbala gagne le procès. Et il se met à harceler les trois protagonistes pour être payé. Des fans fortunés de Waïyyendi paient des sbires, actionnés par l’homme d’affaires Badoulaye, pour faire taire définitivement Karbala et le tuer. La seule issue pour Karbala pour échapper est de devenir ‘’fou’’. C’est l’histoire de cette chasse à l’homme contre Karbala que Ousseynou Nar Gueye raconte avec beaucoup d’images dans son texte.
Parlons de son texte…
Le roman de Ousseynou Nar Gueye aborde les thèmes de l’amour, de l’amitié, de la politique et des luttes pour le pouvoir temporel. L’amitié est ici traitée comme une valeur suprême qui une fois trahie peut donner lieu à toutes les révoltes des concernés. L’amour est exposé comme un moteur essentiel à l’activité sociale et professionnelle, dont il est l’aiguillon. La description de personnages inspirés de personnalités politiques contemporaines donne lieu à une analyse de la société dans laquelle vivent les protagonistes du roman, société qui n’en ressort pas grandie mais pour laquelle malgré tout, on sera tenté de garder de la tendresse, pour ses travers, pesanteurs et tabous, finalement risibles et attachants.
‘’Waiyyendi m’a tuer*’’ ce roman de 128 pages est en réalité un véritable instantané des faits qu’on rencontre fréquemment dans le milieu de la propriété intellectuelle dans le domaine de la musique ou parfois les médias jouent un véritable rôle de propagande.
Ousseynou Nar Gueye qui connaît bien ce milieu de la propriété intellectuelle met en relief un conflit qui en réalité continue de faire rage en Afrique. Quand le Sénégalais évoque la notion de propriété, nous essayons de le voir dans un sens plus grand et large avec les problèmes du foncier qui continuent de faire des malheureux comme Karbala.
Ousseynou Nar Gueye à la page 12 commence son récit ainsi : « Avec les faits, plus on fait bref et mieux c’est. Seule valait la peine d’être contée l’histoire, c’est-à-dire l’histoire derrière les faits ». Ousseynou Nar Gueye à travers cette histoire met en relief le conflit sur la perception de la notion de propriété intellectuelle. Son récit à la page 15 montre cela. « la propriété, c’était le vol. Kadd, le grand Fromager avait compris avant tout, au fil de ses pérégrinations mondiales, que non, la propriété ne pouvait être le vol ; la propriété était le début de la civilisation… Waïyyendi, grand Kadd-fromager l’avait écouté, puis avait dit : – Tu es le premier, en ce Champ des Chants ternaires du pays de Nittie, qui me décrit aussi bien que je l’ai compris, que la propriété est la loi qui seule peut fonder une société et civiliser les rapports entre nous ».
Je veux ici emprunter les mots de Darren Olivier qui disait que « la plupart des praticiens en la matière de propriété intellectuelle ignorent tout de la manière dont est assurée l’application des droits de propriété intellectuelle en Afrique ». Dès lors, il en résulte que les investissements de propriété intellectuelle sur le continent sont vus avec une certaine appréhension ou que l’Afrique donne l’image d’un endroit où le respect des droits de propriété intellectuelle n’est pas une condition pour faire des affaires. L’œuvre de Ousseynou Nar Gueye le démontre nettement avec un rapport de force et de faiblesse entre Karbala et Waiyyendi.
Si on suit bien les faits rapportés par Ousseynou Nar Gueye dans ce roman « Waiyyendi m’a tuer* », il est clair qu’il y a des changements car on s’aperçoit que Karbala gagne son procès où il n’était pas demandeur. Gueye entame bien ces orientations lorsqu’ ‘il veut pointer du doigt un fait. Par exemple, il parle ici de l’ignorance du consommateur culturel face aux complots contre les personnes créatrices de concepts qu’on peut identifier comme des « Karbala ». « Le grand public ne le sait peut-être pas mais dans les salons feutrés où les réputations se font et se défont, en une formule lapidaire, et où siègent les rois autoproclamés de la société, beaucoup aujourd’hui sont traités comme « Karbala », de ‘‘fou à lier’’ par les rois de l’arbitrage des élégances sociales. Les coups bas y sont réels dans cette sphère de la propriété.
Les médias….
En sa qualité de journaliste,Gueye fait bien de parler du rôle des médias et surtout de leur impact négatif à fabriquer une opinion publique grâce à la « Une » d’un journal. Il le dit ici clairement. « La véritable faute de ‘‘Fitt La Flèche’’ (un quotient) pour ce photomontage n’était point morale, mais d’abord déontologique. Car, disait l’éminent bobardier, dans des propos repris par une gazette au nom lunaire : ‘‘le photomontage n’était pas mentionné comme tel sur la photo’’. Ousseynou Nar Gueye se sent beaucoup plus à l’aise quand il parle de la musique, de la propriété intellectuelle et de la pratique du journalisme dans ce vaste champ des droits d’auteurs. Car ces sont des questions qu’il a dans le sang.
Ousseynou Nar Gueye sait jouer avec les mots surtout les figures de styles qu’il adorait sans doute dans ces années de collège au Cameroun et au Sénégal. Dans une écriture aux scansions parfois hypnotiques, ‘‘Waïyyendi m’a tuer*’’ fait la part belle à l’onirisme, dans un style gourmand de mots et de créations métaphoriques inspirées du wolof ; avec un goût prononcé pour le troussage de la langue française. Ousseynou Nar Gueye utilise beaucoup de style qui donne un certain humour à son récit. « La bouche de Waïyyendi parlait à mon oreille. La bouche de Waïyyendi, mon oreille ; ma bouche, l’oreille de Waïyyendi » ou encore « Aventure journal et journal d’aventure ».
En conclusion, Ousseynou Nar Gueye avait raison de dire « Ce qui était à Dieu avait été rendu à Dieu. Ce qui était à César, que Baaboune avait pris, n’était point rendu à César. Car seul Waïyyendi était César, dans le Champ des Chants de Nittie. ». Une chose était sûr c’est que ce qui était à la terre retournait à la terre. Et « Baaboune et Karbala devaient s’expliquer devant Allah » même si « Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas » envers Baaboune et Karbala qui devait suivre son destin selon que Allah avait décidé.
Critique….
« Waïyyendi m’a tuer* » est en réalité le reflet des maux constants dans la rétribution dans la sphère de la propriété intellectuelle en Afrique. Ousseynou Nar Gueye met en scène une réalité qu’il connait très bien à travers une belle histoire dont l’architecture est réussite. Il y a un excellent lien entre les différents secteurs d’activités dans ce texte et l’auteur. En expert des questions de propriété intellectuelle, Ousseynou sait présenter les faits et en faire une histoire. Sa maîtrise de la technique rédactionnelle et sa connaissance de l’univers de la musique et des médias sont visibles. On le voit à travers cette première œuvre « Waiyyendi m’a tuer* ». Ousseynou réussit les prémisses avec brio. Ces observations sont pertinentes. Il est bien difficile d’admettre que Ousseynou a négligé de considérer les questions de propriété intellectuelle et de rétribution autour de la musique.
Personnellement je trouve que le sujet de la propriété intellectuelle et la rétribution en Afrique est un sujet d’actualité qui mérite d’être mis sur la table des débats. En tant qu’Ivoirien ‘’Wayyendi m’a tuer*’’ est aussi la photographie des nombreuses malheureuses contestations entre les artistes et le Bureau ivoirien du droit d’auteurs où les coups bas ne manquent pas dans la rétribution. Certains artistes sont morts sans avoir touché un seul sous de leur droit et parfois quand la distribution doit se faire… c’est là qu’il faille inviter la presse et la justice. Et ces choses-là Ousseynou Nar Gueye le sait et en set témoin. ‘’Wayyendi m’a tuer*’’ est une œuvre qui a toute sa place dans les bibliothèques des « Grands écrivains » Africains comme Senghor. ‘’Waïyyendi m’a tuer*’’ est un roman que je vous recommande. Son adaptation au théâtre ou au cinéma sera l’une des plus excellentes choses qui puisse arriver à cet excellent roman.
Par Christian Guehi