L’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac) a rendu un hommage mérité au comédien, professeur d’interprétation et acteur, Bienvenu Néba, le mercredi 27 janvier dans la salle Bitty Moro de l’école des arts à Cocody. La tribune offerte au monstre sacré de la planche et du cinéma ivoirien s’est transformée en une belle fête conviviale qui a permis de connaître l’homme, ses plus beaux souvenirs, ses moments de joie et de doute, mais et surtout l’histoire de l’Insaac.
Par SANOU A.
La salle Bitty Moro de l’Insaac s’est trouvée petite, trop petite pour recevoir toutes les personnes venues prendre part à l’hommage rendu à Néba Bienvenu Robert. Convalescent, l’icône des planches n’a pas caché son émotion face à l’accueil à lui réservé. Ils étaient tous là. Compagnons de premières heures, amis, parents, disciples, enseignants et étudiants. Tous venus s’abreuver à la mamelle de celui qui est entré dans le panthéon des hommes de la culture ivoirienne, les plus illustres. Celui que « ‘’l’Unesco appelle un trésor humain vivant’’, une personne qui possède, à un haut niveau, les connaissances et les savoirs nécessaires pour interpréter ou recréer des éléments d’une situation spécifique », dira Dr Kacou Parfait, directeur de L’Ecole supérieure de théâtre, du cinéma et de l’audiovisuel (ESTCA).
Une enfance loin du théâtre
Né le 20 juillet 1945 à Treichville, avenue 8, à l’hôpital annexe, Néba Bienvenu Robert est originaire d’un village situé à 16 km de Jacqueville. 2e fils d’une fratrie de 6 âmes (trois garçons, trois filles), il débute l’école primaire à l’école régionale de Treichville. Deux ans plus tard, il intègre l’école du pont, plus proche du domicile familial. Avant de suivre son père affecté à Dabou, où il prend le chemin de l’école annexe de Dabou. Arrivé au collège, Bienvenu revient au Plateau et est accueilli au Collège d’orientation du Plateau.
Son amour pour les mathématiques et les matières scientifiques, fait qu’il est orienté dans une école de comptabilité. C’est durant ses études de comptabilité qu’il prend parallèlement des cours du soir de théâtre à l’Ecole d’art dramatique, située en face de l’actuel immeuble La pyramide. Il passe une année à aller aux cours sans monter sur scène. « Je regardais travailler les gens. Chaque fois qu’on me programmais, je fuyais. C’était la pièce ‘’Un nommé Juda’’. Je n’étais pas distribué car je n’étais pas connu des responsables. Paradoxalement, je faisais la régie lumière. Il fallait connaître le spectacle pour ouvrir et fermer le rideau », se remémore-t-il.
Porté par l’amour des siens
Bienvenu a grandi dans une famille « normale » dans laquelle, il se souvient encore, qu’« on respecte l’ordre d’arrivée ». Les plus jeunes se devant d’honorer et de révérer les aînés. Cependant, tout se passe bien en famille. Sans souvent compter sur ses espiègleries. Très nerveux, il n’aimait pas les moqueries. Malheureusement, sa morphologie n’était pas faite pour l’en épargner. Surnommé ‘’Le gros’’, il se bagarrait fréquemment. Ce qui lui a valu d’arrêter de jouer au foot. Qu’à cela ne tienne, il excellait aux jeux d’adresse, comme aux billes. Devenu adulte, il tire bien au fusil.
Au collège pourtant, il n’a pas échappé aux brimades des plus grands. « La lièvre et le tortue a parié, aujourd’hui nous verra, celui qui gagneront ». Ce chant truffé de fautes devait être repris comme tel par les nouveaux. « Et gare au plus jeune qui oserait le corriger. Il en avait pour son compte », note-t-il.
Ses premières scènes
C’est en 2e année, à l’école des arts dramatiques, qu’il est distribué sur son premier spectacle. Mais comme une doublure. Prenant son mal en patience, le jour de la générale de « Papa bon Dieu », la pièce, on ne sait par quel miracle, le titulaire du rôle a disparu. Soutenu par Fatou Sidibé, première speakerine de la RTI et Danielle Boni Claverie, qui jouaient dans le spectacle, il s’est jeté à l’eau. « A la fin du spectacle, j’ai été félicité. Le lendemain, on m’a reprogrammé », savoure-t-il encore cette victoire.
Un choix diversement apprécié
Piqué par le virus de la scène, il décide de faire les cours de théâtre en plein temps. « M. Néba Martin, mon père m’a dit : c’est ce que tu veux faire ? J’ai dit oui. Il me dit mais, ce n’est pas connu ici. J’ai dit que je voulais le faire, que c’est un métier d’avenir. Il m’a dit retient que ‘’Pierre qui roule n’amasse pas mousse’’. Donc fait ton choix et fixe toi. Si tu dois changer de métier plus tard, tu ne risques pas de mousser », rappelle-t-il ses échanges avec son géniteur.
Mais, de nombreux membres de sa famille avalaient mal la pilule. « Tous ceux qui savaient lire et écrire dans ma famille étaient fâchés parce qu’il parait que je n’étais pas bête à l’école. Et, ils disaient que j’étais un paresseux c’est pourquoi je prenais cette voie. C’est un oncle, qui vivait en France qui m’a dit : comme tu veux le faire, il faut bien le faire. Si tu penses qu’avec le théâtre ça peut marcher, vas-y, tu as mon soutien », explique-t-il.
Pour lui, cette hostilité dénotait de l’idée que l’opinion publique, de l’époque, avait du théâtre et des comédiens. « On était vu comme des amuseurs publics, des batteurs de tam-tam. J’ai un oncle qui ne m’a parlé avec respect que quand j’ai fini mon stage en France et que je suis revenu. C’est en ce moment qu’il m’a adressé la parole avec un peu de considération », déplore-t-il.
De l’école des arts dramatiques à l’Insaac
L’hommage de l’Insaac a Bienvenu Néba, a été une belle occasion d’apprendre sur l’école des arts. C’est Mathieu Attawa, cousin germain de Bienvenu Néba, qui dans son témoignage s’est attardé le plus sur l’histoire du théâtre en Côte d’Ivoire et de l’école des arts.
« Dans les années 1963, on prenait les cours de théâtre au Plateau en face de la pyramide à l’école nationale d’art dramatique. En 1966, à la création de l’Institut national des arts (INA), j’y étais avec Bienvenu. A cette époque, les différentes écoles étaient dispersées sur le territoire abidjanais. Les Beaux-arts étaient en face de l’hôtel de ville, l’école de théâtre était en face de la pyramide et l’école de musique était à la RAN. C’est quand on a construit l’INA, qu’on a fait venir un expert de l’Unesco qui a regroupé les trois écoles dans le bâtiment qui abrite l’actuel Insaac. Ce bâtiment n’était pas destiné à la culture, mais au ministère des finances », se souvient-il.
Quant à Bienvenu Néba, il a rappelé le combat qui a abouti à l’obtention du bâtiment de Cocody. « Le bail de l’école d’art dramatique étant arrivé à terme, on n’avait plus de local. Nous avons fait une démarche qui nous a envoyés à la présidence. C’est ainsi qu’Houphouët a fait appel à un expert de l’Unesco. Ce dernier nous a demandés de faire des sérénades et des récitals. Comme bilan de ces activités, il a organisé un stage de 45 jours qui nous a regroupés au lycée technique. Nous faisions la pratique ici. A la fin du stage, il nous a été demandés de monter des spectacles. C’est ainsi que nous avons demandé à Bernard Dadié d’écrire M. Thogo Gnini ».
Un comédien exceptionnel
Malgré cela, Bienvenu Néba ne passe qu’un an sur le nouveau site avant de s’envoler pour la France, à l’Université international du théâtre de Paris, une école qui alternait la pratique et la théorie. Durant sa riche carrière de comédien en Côte d’Ivoire, Bienvenu Néba a été identifié à ‘’M. Thogo Gnini’’ de Bernard B. Dadié. « Il a marqué cette pièce », apprécie Sidiki Bakaba. Et d’expliquer : « On n’a fait environ 300 représentations (287 au total). Il est entré dans ce personnage. Dès qu’il attaquait la première phrase, on ne voyait que M. Thogo Gnini jusqu’à la fin ». C’est pourquoi, l’ex directeur du Palais de la culture de Treichville a souhaité qu’une édition de l’œuvre puisse mettre la photographie du comédien en couverture. « Chaque grand comédien qui a marqué une pièce, le livre a été édité avec son image. On a Douta Seck avec ‘’La tragédie du roi Christophe’’. Comme on a fait avec Gérard Philippe pour le Cid. Mais je ne comprends pas pourquoi M. Thogo Gnini n’est pas édité avec la photo de Bienvenu Néba’’, ne comprend-il pas.
Un amour viscéral pour l’Insaac
Le 12 septembre 1972, Bienvenu Néba prend fonction à l’INA en tant que professeur. Il est allé à la retraite en décembre 2002 alors que l’école avait adopté le nom de l’Insaac. Malheureusement, s’il a formé avec passion les étudiants, il n’a jamais eu le statut officiel d’enseignant. « J’ai été agent temporaire pendant 15 ans car il n’y avait pas de corps pour les enseignants des arts. Quand le corps a été créé, on m’a demandé de faire l’équivalence de mon diplôme. Ce qui n’a pas été pris en compte. Je n’ai bénéficié que du statut d’animateur culturel », révèle-t-il.
Une situation qui n’a jamais faibli son ardeur et son abnégation. Un sacrifice de soi salué par les organisateurs de l’hommage. « Vous donnez l’occasion à l’Insaac de réaliser un de ses vœux chers, celui de témoigner toute sa reconnaissance pour l’immense travail que vous avez abattu. Pour qu’aujourd’hui nous soyons là où nous sommes et surtout éviter à nos anciens que vous êtes de tomber dans le gouffre de l’oubli », reconnaît le directeur de l’ESTCA, Dr Kacou Parfait.
A l’artiste, il a été remis des présents. Avant qu’il ne dévoile son prochain défi : « jouer une pièce de plus d’une heure écrite par un célèbre écrivain ivoirien». Comme quoi, il a encore du répondant, pour le grand bonheur du théâtre et du cinéma en Côte d’Ivoire.