« Le vieil éléphant sait où trouver de l’eau. Si tu marches dans ses pas, tu n’auras jamais soif ». L’l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC) a donné l’occasion aux jeunes de marcher dans les pas d’un pachyderme du cinéma ivoirien le 27 février dernier à la salle Bitty Moro de l’école des arts à Cocody.
Par SANOU Amadou
Doyen d’âge du cinéma africain (87 ans), premier ivoirien à avoir réalisé un film, la vie cinématographique de Timité Bassori n’a pas été un long fleuve tranquille. L’octogénaire, invité de la première tribune de ‘’ A la rencontre des anciens du cinéma ivoirien’’ a passé en revue sa longue et riche vie au service du cinéma devant un parterre d’étudiants, d’enseignants et de nombreux invités.
Un exemple à suivre
L’Insaac, au nom de son directeur général, Pr Ouattara Siaka, a honoré cette icône du 7e art à travers une belle fête. « La présente cérémonie célèbre la reconnaissance de ce qu’est M. Timité Bassori pour le monde du cinéma, et pour toute la Côte d’Ivoire », souligne-t-il. S’inspirant de la vie de l’illustre invité et des nombreuses personnalités du monde du cinéma qui l’ont accompagné, il a exprimé sa fierté et celle de son institut de donner une formation en cinéma et l’audiovisuel.
Dr Kacou Parfait, directeur de l’Ecole supérieure de théâtre et de cinéma audiovisuel (ESTCA) a noté que son école dispose de deux départements : le département théâtre et traditions populaires et le département cinéma audiovisuel. « Le dernier département est récent et forme les étudiants aux métiers du cinéma afin de les rendre opérationnel pour l’industrie naissante du cinéma en Côte d’Ivoire », apprécie-t-il.
Pour lui, l’Insaac a initié cette activité en ayant un double objectif : la célébration et la formation. A savoir, rendre hommage à un maître pour son expérience et son expertise dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, tout en le présentant comme un modèle, une icône aux étudiants et enseignants pour qu’ils s’inspirent et s’enrichissent de sa passion du 7e art.
Vivre sa passion contre vents et marées
Avant 1960, le cinéma en Côte d’Ivoire et en Afrique n’était pas connu comme une profession. On le connaissait comme un spectacle. On ignorait tout de cet art. C’est à cette époque que nait l’amour de Timité Bassori pour le 7e art. « J’étais un féru du cinéma et j’étais avec un oncle qui était un homme de culture et qui aimait aussi le cinéma. A la maison, nous avions toujours des livres et des journaux. Petit à petit, j’ai appris à rentrer dans le domaine du cinéma professionnel en connaissant des acteurs, des réalisateurs et en sachant comment on y arrive », relate-t-il. Pourtant, une équation était à résoudre : comment y arriver en Côte d’Ivoire ?
« Autour de moi, c’était le découragement total. Les gens me demandaient ce que j’allais y faire car ça ne mènerait nulle part. On me disait de faire des études sérieuses au lieu de m’engager dans cette voie. Je ne sais pas pourquoi moi-même j’y tenais, parce que je ne savais pas où j’allais », confie-t-il. En effet, le cinéma était un art nouveau. Même en France, c’était un club fermé. « Ce n’était pas facile pour y accéder. C’était un monde à part », reconnait-il.
Pourtant, Timité Bassori se rend en France. « J’y suis arrivé le 19 septembre 1956. J’ai commencé d’abord par le théâtre. Je voulais être metteur en scène car pour diriger un comédien, il faut d’abord avoir été un comédien. J’ai fait la connaissance de trois personnes dont Sara Maldorore, Sam Ababacar… qui voulaient aussi faire du théâtre », se souvient-il. Lui et ses amis s’inscrivent aux cours Simone, une vieille école de théâtre. C’était la première promotion d’hommes de couleur à y entrer. Leur objectif était d’avoir les bases de l’attitude du comédien, sa tenue sur scène, la diction.
Parallèlement, il prépare son entrée à l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec). A sa sortie de l’Idhec, il intègre la télé française.
Tourner dans les années soixante : la croix et la bannière
En 1961, en Côte d’Ivoire, un an après l’indépendance du pays, un réalisateur français avait un projet de réalisation de film en Côte d’Ivoire : Adou ou le Prométhée noir. C’était une coproduction avec le gouvernement ivoirien. Mais, le cadre administratif ne s’y prêtait pas avec les nombreux contrôleurs financiers. C’est ainsi que l’Etat ivoirien a décidé de créer une société de cinéma, une société d’économie mixte. La Société ivoirienne de cinéma (SIC) le 1er décembre 1961. « J’étais à la télé française. Le réalisateur qui avait entendu parler de moi m’a fait appel. Nous avons travaillé sur la préparation du film. Mais à trois mois du tournage, le gouvernement ivoirien s’est retiré du projet. Le réalisateur est retourné en France. Mais la société ivoirienne de cinéma était déjà créée. Et on m’a demandé de venir. Le service de l’info comprenait la radio, la presse, le service photo et un service du cinéma. Moi je suis rentré en 1962. Début 1963, la Côte d’Ivoire envisageait avoir une télé. Il a été décidé de dissoudre la SIC et de la mettre dans le cadre de la création de la télévision. La section film que je dirigeais a été dissoute, et je me suis retrouvé derrière un pupitre de télé. J’étais découragé, j’ai repris mes bagages et je suis retourné en France », se remémore-t-il.
Au bout de quelques mois, le conseiller technique du ministre de l’Information, qui était le directeur du SIC lui a rendu visite en France et il lui a demandé de rentrer. « Je lui ai dit que je n’ai pas fait des études de cinéma pour être derrière un pupitre. Il m’a dit de rentrer, de proposer un scénario pour qu’il soit réalisé. Je suis rentré et j’ai proposé le scénario de ‘’Sur la dune de la solitude’’. Il fallait un sujet simple parce que déjà la télé avait des moyens limités », souligne M. Timité.
A sa création, la télévision ivoirienne émettait de 19h à 23h. Le cinéaste, pour exécuter son projet, devait travailler avec les techniciens de la télé. Aucun parmi eux n’avait travaillé sur une production cinématographique. Malgré de nombreux obstacles, le film finit par être réalisé.
Aller à la bonne école
Selon Timité Bassori, le cinéma ivoirien est constitué de vagues : une première vague qui part des années soixante et qui comprend Désiré Ecaré, Henri Duparc et lui-même. Une deuxième vague qui va des années 70 avec Gnoan Mballa, Etienne Kodjo qui étaient à la télé et réalisaient leurs films. Le 3e groupe est celui des années 80 qui comprend Yéo Kozoloa, Jean Luc Koula, Fadiga Kramo, Mori Traoré, Mamadou Coulibaly, Moussa Dosso… C’est le plus grand groupe.
Il est donc convaincu qu’on apprend réellement que dans des équipes professionnelles. Il se souvient qu’à l’époque, il fallait faire trois stages sur de grandes productions pour être assistant réalisateur. On pouvait trouver facilement des premiers assistants à 40 ans. Car, croit-il, c’est la pratique qui permet d’être en face des problèmes qui se posent durant le tournage.
Des productions mal reçues par la critique
Bien qu’il soit le pionnier du cinéma ivoirien, ses réalisations (seulement deux) n’ont pas toujours été bien accueillies à leurs sorties. « Quand le film ‘’Sur la dune de la solitude’’ est terminé, il n’a pas été critiqué pour des imperfections techniques ou artistiques, mais il a été critiqué parce qu’on voyait un couple d’Ivoiriens batifoler dans l’eau. On disait que ce n’était pas ivoirien, africain et que c’était scandaleux. On a mis le film de côté. Ce n’est qu’au Festival des arts nègres de Dakar en 1966 que le film a été montré », déplore-t-il, encore. Comme si cela ne suffisait pas.
« ‘’La femme au couteau’’ a été mal reçu. Il y a eu des critiques de partout. Comme c’était moi qui ai financé le film avec mes propres moyens, et comme cela n’a pas bien marché, il a fallu que vende ce qui était à vendre pour pouvoir rembourser les dettes que j’avais contractées. Au vu de cela, je n’ai plus voulu me lancer à l’eau », rappelle-t-il, pour justifier pourquoi il n’a plus réalisé de film après ces deux expériences.
Aux premières heures du Fespaco
Timité Bassori fait partie des premiers invités du Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (Fespaco). Il y était avec Sembène Ousmane, Oumarou Ganda, Moustapha Alassane et la comédienne nigérienne Zalika Souley.
Et il se souvient de cette première édition : « le Fespaco est né après un problème entre le gouvernement de la Haute Volta, à l’époque, et les sociétés de distribution et d’exploitation du cinéma. Ces structures voulaient augmenter les prix et le gouvernement n’était pas d’accord et ils ont fermé les portes. Le gouvernement a obligé l’ouverture des salles. Il y a eu un accord. Des cadres voltaïques ont eu l’idée de créer un lieu de rencontre cinématographique qui était appelé au départ Semaine du cinéma à Ouagadougou. C’est une équipe qui était avec le ministère de l’Information, le centre culturel franco voltaïque ».
« Cependant, continue-t-il, Il n’y avait que trois salles à Ouaga. On allait dans les quartiers, on projetait les films sur un drap blanc. Cela a eu tellement de succès et nous avons été tellement gâté qu’il a été demandé de reprendre l’expérience. Ensuite cela a été rapporté à la Fepaci qui a validé le festival qui a pris le nom de Fespaco ».
A la fin de la rencontre avec Timité Bassori, cette bibliothèque vivante, il a été remis un beau portrait du peintre Yéanzi à l’invité. Bienvenu Néba, Zié Coulibaly, Désiré Beugro, Fadika Kramo ont témoigné de la grandeur de l’homme, de sa simplicité, de sa disponibilité et de son humanisme.