« Il s’agit en aucun cas d’une démarche intellectuelle, avertit Fabrice Sergent, c’est tout simplement un état. C’est un fait, un constat ». A définir ainsi sa conception de sa peinture, l’on découvre la relation intrinsèque que l’artiste entretient avec son art et l’influence que cet art a sur lui : « c’est la peinture qui me guide, ce n’est pas moi qui guide la peinture », insiste-t-il.
L’exposition-peinture que Fabrice Sergent présente, jusqu’au 3 avril 2021 à la Rotonde des arts contemporains au Plateau, est une sorte de reconnaissance à un pays, la Côte d’Ivoire et à un continent, l’Afrique : « Il s’agit de rendre à l’Afrique ce qu’elle m’a donné. Une façon de ne pas tourner la page et garder les liens avec la Côte d’Ivoire ».
En effet, avant de quitter définitivement Abidjan pour cause de retraite, le peintre a voulu marqué sur toile ses souvenirs. Le nouveau livre qu’il écrit, est jalonné des regrets des balades au Plateau, de la brousse. « J’ai découvert une culture très profonde, un peuple attachant et j’ai eu la chance de rencontrer des gens merveilleux », soutient-il.
Le titre de son exposition, ‘’Babi Blues’’, est de loin l’évocation de troubles affectifs post natal. C’est l’expression d’une relation d’amour avec une ville : Babi (appellation d’Abidjan par les jeunes) et blues pour indiquer la tristesse qu’il ressent au moment de quitter cette ville.
Outre la nostalgie, Pr Yacouba Konaté, directeur de la Rotonde des arts contemporains, relève deux autres dimensions du blues qui anime Fabrice Sergent.
« La question du blues renvoie à la relation que Fabrice entretient avec la musique. Dans la première exposition, il y avait quelques peintures qui étaient des effets de transcription de la musique en peinture. Il affectionne le blues. Un autre aspect du blues, le Coronavirus a induit dans une sorte de mélancolie, une forme de période où on a appris à apprécier les menus choses de la vie. Une période difficile, mais une période d’espérance », a-t-il disséqué.
Une nostalgie positive
Pour ainsi dire, la peinture de Fabrice Sergent est tout sauf triste. Elle appelle à croire en la vie. L’artiste, comme le note Yacouba Konaté, célèbre les couleurs vitales : le jaune, le rouge, le vert. Le hall principal de la galerie dégage une gaieté, une chaleur qui caressent le visiteur au point de le retenir.
Si par curiosité, l’on est entrainé vers les deux autres pièces qui reçoivent le reste des œuvres, l’on découvre le revers de la médaille. L’hymne à la vie à une face obscure, un spleen qui associé à la joie constitue la réalité de l’existence humaine.
« J’ai appris à comprendre, en tant que peintre, à quel point ‘’l’être de culture tierce’’ est ambivalent. On a l’impression d’être-là sans être ici. Je suis de là-bas mais je n’y suis jamais et parfois j’ai même l’impression d’être quelqu’un d’autre », relève le peintre. Cette dualité de l’artiste transparaît dans ses deux signatures Sergent et FA KSE.
L’écriture qu’il propose est une implication très forte de la peinture dans le tissu social africain.
On y découvre des scènes de tous les jours, des clins d’œil à la situation du pays, une invitation au voyage et un regard pointu sur les réalités du monde.
A travers cette exposition d’adieu, Fabrice Sergent marque ainsi d’une pierre blanche son passage à Abidjan. Un testament pictural qui évoque ses moments heureux mais aussi « des choses qu’il a ratées et des portes qui ne s’ouvriront plus ». S’il tourne la page Abidjan, il ne rompt pas le contact avec cette ville qu’il a aimée.
Sanou A.
Crédit Photos: Koné Saydoo