Un an après la publication de son roman Zaouli, le pacte d’amour et de raison, nous avons eu l’honneur de rencontrer Macaire ETTY, l’auteur, afin qu’il nous éclaire davantage sur cette œuvre inspiré de la danse Zaouli, issue du patrimoine culturel gouro de Côte d’Ivoire.

Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur la danse Zaouli ? Pourquoi une œuvre sur le Zaouli ?
Je me suis inscrit depuis quelques années dans le projet de mettre en lumière, par le biais de la création littéraire des mythes, des légendes et des figures historiques et politiques de sève et d’origine africaines. Il s’agit pour moi de les révisiter en vue de les raffraîchir et les proposer comme sources de décryptage et de compréhension de notre monde. J’ai écrit dans cette veine Saramani, l’épopée interdite, La Geste de Bréké, Mamie Wata la pomme lacustre. Ce roman inspiré de Zaouli est un pan de ce projet que je trouve noble.
Aviez-vous l’ambition de faire connaitre la vraie histoire de cette danse au monde entier ou l’avez-vous simplement prise comme prétexte de création ?
En littérature et précisément en ce qui concerne le mythe, il n’y a pas de « vraie histoire ». Le mythe a pour fonction d’éclairer sur les origines d’une pratique, d’une institution, d’un fait de société etc. On dit que le mythe c’est l’enfance de la raison. En exploitant un mythe, le créateur vise, par le choix d’un angle précis, la mise en relief d’une leçon, d’un enseignement, d’une idéologie. J’ai écrit ce roman en m’inspirant de diverses versions du Zaouli pour indiquer que la gloire ne peut être atteinte que par des sacrifices. Et dans le domaine de l’Art, l’Artiste qui veut atteindre les sommets doit se sacrifier ou sacrifier ce qu’il a de plus cher. Comprenez que ce sacrifice peut se présenter sous la forme d’une privation de sommeil, de recherches pointilleuses, de voyages douloureux, de travail acharné, de répétitions épuisantes etc. Dans tous les cas, l’artiste doit se « blesser » pour assurer le ravissement de son public. Cela est valable pour l’écrivain, le musicien, le danseur, le peintre etc.
Quelles furent vos marges de manœuvre entre le souci de vérité et la fiction?
Je suis un écrivain, je suis un artiste. Mon souci n’est pas de dire LA vérité mais de dire MA vérité. Les versions du mythe que j’ai recueillies m’ont permis d’en créer un autre, comme l’a si bien perçu, le Professeur Toh Bi Emmanuel, qui a signé la préface de l’œuvre. L’écrivain est un créateur. Il n’est ni journaliste ni historien. Il jouit d’une liberté illimitée. Mon roman est une autre version du mythe Zaouli inspirée des versions existantes.
La culture voire l’art est omniprésent dans vos productions littéraires. Hier dans La Geste de Bréké et aujourd’hui avec Zaouli, la même thématique réapparaît. Pouvez-vous nous donner les raisons de ce choix ?
Il ne s’agit pas de la même thématique. Il s’agit plutôt du même soubassement qui est l’exploitation des valeurs culturelles africaines. D’une création à une autre, je change de thème quand bien même je surfe sur la culture africaine, notre culture. Dans La Geste de Bréké, je chante la Dignité africaine. Dans Saramani, l’épopée interdite, je rends hommage à la femme africaine pour le rôle discret mais décisif qu’elle a joué dans la construction voire la reconstruction de l’Afrique à travers l’histoire du Mandingue. Dans Zaouli, j’interroge les sacrifices dont est capable un artiste pour atteindre la gloire en me servant d’un mythe bien connu. Dans Mamie Wata, je tente de montrer la cause des chutes de nos héros.
L’histoire de la danse Zaouli se construit sous votre plume derrière une étonnante histoire d’amour entre Kalou, un être humain et Zahi, une femme-génie sous le regard jaloux de Glazan, un génie-mâle. Dans l’œuvre, se côtoient des êtres humains et des génies.
Pourquoi la convocation de ces deux mondes ? Quel sens donnez-vous à l’intervention du surnaturel dans la création du mythe en littérature ?
Nous sommes dans le mythe, un lieu où le décloisonnement entre le réel et l’imaginaire est relève du possible. Le mythe réunit le ciel et la terre, le visible et l’invisible. Ce sont l’espace et le temps où l’impossible devient possible, où tout est possible. Le mythe explique l’origine des choses. Le recours à la genèse des choses s’ouvre le plus souvent au surnaturel. La genèse c’est l’âge qui précède la raison, c’est l’âge de la déraison, du paranormal, de la magie.
Doit-on lire Zaouli, le pacte d’amour et de raison comme un roman de formation, d’histoire, une épopée ou simplement comme un mythe ou une légende Gouro ?
Un roman de formation, un mythe ou une légende…. Un roman de formation du moment où la lecture de cette œuvre vous apporte forcément un plus dans votre façon de voir le monde de l’art. On en sort ravi ou du moins transformé, ne serait-ce qu’artistiquement. Le lire comme un texte épique est possible si on tient compte du merveilleux qui intervient, de cette cohabitation entre le naturel et le surnaturel. Kalou du niveau d’un homme ordinaire passe au statut d’un homme célèbre et adulé. Il réunit quelques qualités d’un héros épique dans la mesure où il construit son destin avec l’aide de forces extérieures et transcendantales incarnées par Zahi, la femme génie. Zaouli, le pacte d’amour et de raison est-il un mythe ? La réponse est un oui sonore, sans équivoque. Ce récit pourrait être aussi une légende car la légende comme l’épopée d’ailleurs part de la réalité et la transcende grâce à l’imagination et les attentes de ses dépositaires. La légende et l’épopée naissent du besoin d’un peuple de s’affirmer et de se doter d’une raison de fierté. Mais le plus important c’est la liberté dont jouit le lecteur de lire ce roman sous l’angle qu’il veut. Au lecteur d’aller à cette œuvre selon ses lunettes.
La description des scènes érotiques dans le roman est parfois très osée. N’y-a-t-il pas de risque à prendre tant de liberté à décrire ce type de scène?
Ah bon ? Là où on parle de beauté, de séduction, d’amour et de fusion, il est tout à fait logique que les mots se libèrent, de-chaînent, se dé-lient. Zaouli est une danse de charme et de séduction. Et rien de plus beau que des mots en aventure pour séduire le lecteur. Cependant, je pense sincèrement que la description des scènes érotiques n’est pas osée ou du moins assez osée ; le ton de ce roman est dans l’ensemble mesuré, retenu même. J’ai opté pour l’allusion et la suggestion dans les quelques rares scènes érotiques du livre. Et ce sont deux artifices littéraires intéressants.
La quête de Kalou, votre personnage principal, visait-elle une gloire personnelle ou collective ? Peut-on le considérer comme un héros ? Si oui, dans quel sens l’est-il ?
Je crois que Kalou visait au départ une gloire personnelle. C’est plus tard que sa gloire personnelle a pris l’allure d’une gloire collective, celle de tout le peuple gouro. C’est dire que son destin lui a échappé en fin de compte. Ses décisions lorsqu’il était au sommet de sa gloire, si on se réfère à la discussion qu’il a eue avec le chef de son village, devraient désormais tenir compte de l’intérêt du peuple. Il a fini par ne plus s’appartenir. On peut dire qu’il est un héros dans la mesure où il est d’un point de vue métaphorique descendu aux enfers (au pays des génies) pour arracher le feu (la danse magique) à Zahi, le dépositaire, au profit sa communauté. La mort physique de son épouse Zaouli est acte sacrificiel, prélude du triomphe et de l’immortalisation de la danse mythique, fusion mystique de ses deux épouses. En concevant le masque à l’effigie de sa défunte épouse humaine pour accompagner les pas de la danse magique, une version de Zahi, son épouse du monde des génies, Kalou pose un acte glorieux qui l’élève au rang d’un héros, d’une étoile.
Pourquoi avez-vous attendu que la danse et le masque Zaouli soient classés au patrimoine mondial de l’UNESCO pour en faire un sujet d’écriture ? N’était-il pas plus intéressant d’écrire sur un patrimoine culturel ivoirien peu connu du grand public ?
En vérité, je nourrissais le projet depuis longtemps. J’étais habité par cette obsession d’écrire un livre sur la danse Zaouli qui m’a séduit depuis mon adolescence tout comme le Boloye ou le Tématé, deux autres danses traditionnelles ivoiriennes. Cependant, l’inscription de la danse gouro au patrimoine de l’UNESCO m’a permis de comprendre que le moment était venu pour moi de donner forme à mon projet d’écriture. Vous me demandez : n’était-il pas plus intéressant d’écrire sur un patrimoine culturel ivoirien peu connu du grand public ? Ce qu’il faut retenir est que le mythe Zaouli n’a pas de références en matière de fiction romanesque. Camara Nangala a écrit un roman intitulé Zaouli, mais c’était le surnom d’un personnage qui dansait très bien. Son livre n’est pas une exploitation littéraire du mythe. Zaouli, le pacte d’amour et de raison est, à ma connaissance, le premier roman dans ce sens. Et cela n’est pas rien. J’élève la figure de Zaouli au statut d’une égérie, de symbole de la Beauté au même titre qu’Aphrodite ou Vénus.
Quel message voulez-vous véhiculer à travers ce roman ?
D’abord, nos mythes recèlent des enseignements moraux, philosophiques, et spirituels qu’il faut pouvoir mettre en valeur. En écrivant sur le mythe Zaouli, j’aide le lecteur à aller au-delà des pas de danse qu’exécute le porteur du masque. Je lui permets de remonter jusqu’aux origines mythiques de cette danse. Un tel voyage est une forme d’introspection qui permet de mieux apprécier notre culture et de l’aimer. En remontant à l’origine, nous nous redécouvrons. Et toute redécouverte est porteuse d’espoir.
Ensuite, j’ai voulu, dans ce roman, montrer ce que vit, subit et souffre l’artiste loin des regards pour pouvoir offrir au public un produit de qualité. Un artiste est un homme de sacrifices et de don de soi. Son bonheur réside dans le bonheur de son public. Pour ce dernier, la cible de ses créations, il est prêt à tout.
Enfin, Ce roman est un hommage à l’Amour et à la Femme. À l’amour car il est à l’origine des plus grandes gestes et des plus grands exploits. N’est-ce pas par amour que Jésus-Christ a donné sa vie à la croix. À la femme car dans ce roman, c’est par la mort sacrificielle de deux femmes, une femme humaine et une femme génie, que la danse Zaouli a franchi le seuil de l’immortalité.
Interview réalisée par KOUANDE Daniel
12/08/2021
2 commentaires
bonjour, je m’appelle Stéphanie et j’ai 14 ans. ce roman est super c’est le seul roman m’ayant séduite je l’ai rencontrer dans une bibliothèque de mon école et depuis, je ne peux m’en séparer le seul truc qui me déçois c’est sa rareté sur le marché.
Djêla