Les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) en optant pour « Lingui, les liens sacrés » du réalisateur tchadien Mahamat Haroun Saleh comme film d’ouverture, place la 32e édition, débutée samedi 30 octobre, sous le signe de l’engagement. C’est une prise de position claire pour la femme, la renonciation au patriarcat, le droit de choisir ou de se soumettre ou non à la tradition, l’affirmation et l’acceptation de soi.
Le réalisateur relate l’histoire de Maria (Rihane Khalil Alio), fille d’Amina (Achouackh Abacar Souleymane) qui porte une grossesse contractée après avoir été violée par Brahim (Youssouf Djaoro), leur voisin, de surcroit un homme âgé. Maria est chassée de l’école. Et son combat, se débarrasser de cette progéniture non désirée.
Le long métrage fiction de 87 minutes retenu en compétition officielle au Festival de Cannes 2021 et au Fespaco 2021 est aussi l’histoire d’Amina. Une jeune femme mère célibataire dans une société tchadienne encore encline dans la tradition et prompt à rejeter ceux qui transgressent les lois religieuses. Amina a vécu le martyre en élevant seule sa fille et ne souhaite pas pareille situation pour elle. D’où son soutien à Maria pour avorter.
La force de la réalisation tient dans les thèmes évoquées (c’est selon). Et le réalisateur dès les premières images choque le cinéphile. La camera s’attarde sur Amina, une jeune femme qui déchire des pneus usés, y extrait le fer pour confectionner des fourneaux métalliques. Les gros plans insistent sur la dureté du travail, la sueur qui perle sur le visage et les traits tirés de la jeune femme. Ces focus montrent son combat pour vivre, du moins pour survivre, comme pour signifier que rien n’est acquis, tout s’arrache. Car face à la difficulté, il n’existe pas de métier pour homme ou pour femme.
Le décor est naturel et rudimentaire. On est dans un quartier précaire de N’Djaména et chaque surface exprime la pauvreté. Ce réalisme est prononcé dans la phase d’exposition de l’histoire et atteint son paroxysme à travers la familiarité qui existe entre Maria et son chat et même le chien.
La première apparition de Maria qui appelle Amina « Maman », choque tout autant. En effet, l’adolescente de 15 ans qui a déjà les mensurations d’une femme, dépasse sa mère de taille. Et la voir l’appeler ainsi, sous-entend la jeunesse d’Amina au moment où elle a eu sa fille.
Dans « Lingui, les liens sacrés », Mahmat Haroun Saleh est très optimiste quant à l’aboutissement du combat des jeunes femmes, contre la société, la tradition et la religion. Il l’exprime à travers la lumière naturelle. Celle de l’aube (lorsqu’Amina part à la recherche de Brahim quand elle apprend qu’il a violé sa fille), celle du jour (quand Amina va vendre ses fourneaux ou suit sa fille qui ne va plus à l’école), et celle du crépuscule (lorsqu’elle est à sa recherche avec le pont qui grouille de monde en fond de toile).
Si avec Mahamat Haroun Saleh, il fallait s’attendre à un film de belle facture (qualité de l’image et du son), il faut dire que l’histoire qui peut être considérée comme d’actualité, se présente comme un acharnement. Le personnage de l’imam en est la trop grande expression. Dans une religion où la femme est exempte de prière durant sa période des menstrues et que sa prière a plus de mérite à la maison qu’à la mosquée, ses interpellations et ses visites au domicile d’Amina sont exacerbées.
Aussi, le droit à l’avortement (dans cette situation justifiée par le viol) qui est le sujet fort autour duquel le scénario est construit sonne comme une obsession. L’idée diffusée et à retenir est que Maria veut avorter et elle en a le droit. « C’est mon corps maman, et je ne veux pas de cet enfant », clame-t-elle. Et sa mère, ne connaissant pas ses motivations profondes se doit de la soutenir.
A la limite, vu les soutiens financiers à la production, « Lingui, les liens sacrés » est un film africain, qui traite des préoccupations de l’occident pour l’Afrique. Le continent connaît de nombreuses mutations et même si le droit à l’avortement n’est pas officiellement proclamé, la pratique est réelle. Qu’on réclame un million de francs pour un avortement, c’est excessif. Et montrer le problème sous cet angle, est un peu rébarbatif.
Sanou A.