Quel adulte n’a pas, dans des moments difficiles, souhaité retourner en enfance ? Le monde de l’enfance est un monde magique, fantastique. Dans «Papillon d’or», le réalisateur et scénariste tunisien Abdelhamid Bouchnak joue sur et avec cela, et fait de son personnage un être entre deux mondes, tel un papillon.
Les enfants ont une grande imagination, même si, chez certains, elle est plus poussée. A l’âge adulte, l’être humain, dont l’esprit est formaté par toutes les réalités qui l’entourent, oublie ses rêves d’enfant, son monde d’enfant. Il ne les retrouve que pour échapper au réel.
Moez, le héros du film tunisien «Papillon d’or» veut échapper à sa réalité. Colérique et coléreux, il a tué deux hommes, essayé de tuer son père, artiste raté qui s’est transformé en ivrogne et en dictateur, il se fait «renvoyer» de son travail de flic, et, surtout, il est malade. Une maladie qui va le rendre handicapé. Et à cause de ce handicap, il sera amoindri, diminué, lui, un colosse.
Il le refuse en parlant vulgairement (des mots à leurs places, soit dit en passant) et est dans le déni. Une fois handicapé, il va se retrouver dépendant de sa sœur et de son père, les seules personnes qui lui sont «proches». Il ne veut pas être dépendant de sa sœur car celle-ci s’occupe déjà de son père. Il ne veut pas être dépendant de son père pour plusieurs raisons, puisqu’outre le fait que son père soit alcoolique et dictateur, Moez le considère comme un menteur du fait qu’il n’a pas tenu une promesse non dite en lui faisant miroiter, dans son enfance, un monde merveilleux, mais, aussi, du fait qu’il ne l’a pas préparé à la réalité de la vie, et l’y a plongé comme on plonge un enfant qui ne sait pas nager dans de l’eau glacée.
Marginalisation
Comme le film, la relation entre le père et le fils passe de la violence à la douceur. La relation entre le père et sa fille est une relation d’abnégation de la part de celle-ci. La séquence la plus forte qui montre cette abnégation est sans nul doute quand la fille torche son père malgré l’enfer que celui-ci lui a fait vivre. Elle s’est, par abnégation et par obligation de descendance, marginalisée en restant vieille fille.
Ce n’est pas l’unique personnage marginal, puisqu’en emmenant le garçon à la rencontre de personnages fabuleux des souvenirs du monde fantastique de son enfance avant la dérive de son père, Moez va lui faire rencontrer des marginaux de la société : un SDF qui se transforme en être ailé, une matrone de filles de joie possédant trois yeux, un fou dont la langue s’étend comme celle d’un caméléon, et un albinos qui, par le goût du sang et de la viande crue, se transforme en un monstre mi-loup-garou mi singe contaminé par des substances radioactives.
Ces personnages peuvent, aussi, représentés Moez qui, à sa manière, est marginal. Il aurait bien voulu avoir des ailes pour, comme on le dit en tunisien, «itir» (s’envoler mais dans le sens figuré du verbe), trois yeux (deux pour continuer à voir et un troisième œil –symbole de mysticisme–, pour se connaître soi-même), et être fou pour ne plus faire partie de la société. Le quatrième personnage symbolise la peur de Moez de redevenir un être sanguinaire, comme il l’a été suite au viol et au meurtre de son amour. Cette relation intime, Abdelhamid Bouchnak l’a tourné tout en pudeur : pas de nudité, mais des gestes tendres au ralenti, puisqu’ils font partie des souvenirs de Moez.
En emmenant le garçon, l’«ancien» policier se substitue, aussi, à un père et plus précisément à son père. Il veut retrouver ce père qu’il a perdu quand il était enfant et qui a laissé place à un père violent. C’est le même schéma qui se reproduit avec le gamin. Il lui montre des merveilles et quand le gosse fait tomber la glace, Moez lui gueule dessus. Il est repris par ses anciens démons et au réveil l’enfant a disparu.
Le sombre et la lumière
Pour se libérer et retrouver le garçon, il décide de tuer le seul être vraiment démoniaque à ses yeux : son directeur Mondher. La relation entre les deux est ambigüe. Il semblerait que Moez ait été l’homme de main de Mondher. D’ailleurs, Moez lui dit en gros : «si je tombe, tu tombes aussi». Toujours est-il que ce directeur est un être infâme : il lèche le crachat de Moez, comme s’il voulait lui prendre son énergie, sa substance vitale, il martyrise sa femme et ses enfants, et il commandite le meurtre de l’amour de Moez.
Dans «Papillon d’or», Abdelhamid Bouchnak joue avec le sombre et la lumière aussi bien dans ses personnages, les décors que dans les moments. L’on remarque que tout ce qui a trait à la réalité est sombre, et tout ce qui concerne le fantastique est très lumineux, même si cela se passe de nuit. Sauf la fin qui est une réalité mais qui est très lumineuse, avec l’égrenage, ou le battage, du blé à l’ancienne faisant voler les enveloppes, connues, également, sous l’appellation de sons, tels des papillons d’or. Et l’on comprend, dès lors, le titre du film mais mis au singulier ; un singulier voulu. Pourquoi ? C’est le personnage du père qui donne l’explication «involontairement» en parlant à son fils.
Outre le fait que le son vole comme un papillon, ce dernier est très symbolique. Il représente la transformation, la légèreté, et, surtout, dans le cas de Moez, un être entre deux mondes. C’est aussi un symbole de spiritualité fort et cette spiritualité est accentuée par la luminosité des dernières séquences du film. Des dernières séquences où la réalité rejoint le fantastique et le fantastique la réalité, ne faisant plus qu’un.
Zouhour HARBAOUI