Etant la benjamine d’une dame Aboméenne dont le nom de famille est Ahouangan (Général de guerre en langue Fon), dont la mère est Glèlè et qui a passé au moins 20 ans à Djimè (fief du roi Béhanzin), je puis vous assurer que j’ai été bercé par les histoires de royauté bien avant de savoir lire et écrire.
Par Inès Fèliho
Pour faire court, ce film, au-delà de tout, est un hommage à tout le continent africain mais surtout à la gent féminine. Je suis extrêmement fière qu’on parte d’une réalité de chez moi qui, jusqu’à un passé récent était perçue comme une légende pour aborder des questions aussi sensibles que la royauté, l’esclavagisme, le féminisme, la résistance africaine…
Surtout à une époque où des voix se lèvent de part et d’autre pour tenter, je dis bien ‘’tenter’’ de nous ouvrir les yeux sur le néocolonialisme, l’aliénation religieuse, le sexisme et bien d’autres maux.
Intéressez-vous un peu aux règnes des reines oubliées ou évincées de l’Histoire collective comme Tassi Hangbé (Royaume du Danxomè), Njinga (Royaume du Ndongo et du Matamba – Angola), Yalla Ndaté (Royaume du Waalo – Sénégal), Yaa Asantewaa (Royaume Ejidsu de l’Empire Ashanti – Ghana), et vous saurez que The Women King va bien au-delà d’un simple film.
Aux boycotteurs
Vous qui dites que le film n’est pas en conformité avec notre histoire, que les Béninois n’ont pas été associés etc., je puis vous dire que vous avez tort de prendre les choses au premier degré. Vous êtes Béninois et fiers donc vous avez le droit de manifester votre désapprobation. C’est tout à votre honneur. Même si entre nous, on se doit tout de même de reconnaître qu’une fiction n’est pas un reportage et encore moins un documentaire.
Bref, je vous suggère de raconter notre histoire avec vos moyens de bord. Avec les smartphones aujourd’hui on peut faire des merveilles. Allez voir les personnes ressources, frappez vos poitrines en digne fils du Bénin et faites ce que vous pouvez. On en sortira tous gagnant !
Notre patrimoine culturel n’est pas resté intact mais il en reste encore assez pour être valorisé, sauvegardé et vulgarisé. J’ai lu beaucoup de choses qui m’ont fait rire mais après réflexion je me suis rendue compte que ce n’était pas drôle. Beaucoup n’ont pas su lire entre les lignes pour savoir que c’est le début de quelque chose qui pourrait servir à une plus grande cause.
Aussi, je trouve que pour une fiction, ils ont fait de gros efforts pour rester coller à l’histoire de base, tout en faisant un clin d’œil à d’autres peuples africains. Il suffit de faire attention à certains détails : costumes, décors, armes (sabres d’Agodjié), paysages….
Personnellement, j’ai tout de suite été conquise lorsque j’ai vu l’une des premières séquences s’ouvrir sur un marché qui offre une vue panoramique des savoir-faire ancestraux de la cour royale du Danxomè : les pagnes tissés, les sacs en feuille de palmier, les bijoux. C’est purement et simplement un hommage aux familles Yèmadjè, Akati, Hountondji et autres artisans de la cour royale d’alors dont les descendances continuent de pérenniser les savoirs et techniques.
Je vous invite à aller visiter Le Petit Musée de la Récade à Le Centre et à comparer les sabres et récades que vous y verrez à ceux du film.
Vous y trouverez aussi une exposition en cours dénommée « Héritage du réel » où le peintre Joël Dègbo présente quelques tableaux de palais royaux.
Allez à Abomey voir les palais royaux. Allez y voir les Ahoho (les murs de terre rouges que vous avez vus et qui ressemblent légèrement au mur de glace séparant les marcheurs blancs et les 7 royaumes dans Game of Thrones. Bon là, j’exagère un peu). Et si vous avez la chance de tomber sur un bon guide, vous comprendrez que plus qu’un film, The Women King est un hommage à notre Histoire.
Et puis… le casting, le jeu d’acteur ! Est-ce qu’on en parle ? Je préfère me taire parce qu’ils ont mis la barre haut. Néanmoins, j’avoue qu’à une époque, je doutais du talent de Viola Davis parce que franchement je trouvais que son jeu était trop surfait dans « How to Get Away with Murder ». Mais aujourd’hui j’ai changé d’avis au point même de me demander si une autre actrice pouvait incarner aussi bien son rôle dans The Woman King.
Bravo à maman Angelique Kidjo pour ce gros travail autour des chants (on ne peut en aucun cas exiger de gens de diverses origines et cultures de maîtriser une langue sur un plateau de tournage). Je pardonne entièrement les mauvaises prononciations.
Bravo aussi à ces personnes ressources et autorités béninoises qui ont travaillé dans l’ombre pour la réalisation de ce film. Mais puisqu’aucune œuvre humaine n’est parfaite, il y a des choses qui auraient pu être mieux pensées à mon avis.
J’aurais aimé voir maman Rachelle Agbossou et des danseuses de la Cie Wâlô où d’autres spécialistes de danses patrimoniales exécuter des pas de Houngan, Zinlin dans ce film par exemple.
Ah ! Il faut dire qu’à Danxomè, l’eau était une denrée rare et que 80% des Aboméens ont une peur bleue de l’eau. Donc leur affaire de se baigner là c’est un truc purement Hollywoodien qui rappelle trop la royauté en Occident
Min dèèèlè non dayihoun dé kpo sin kpo sô mon an (les abomeens n’ont jamais été à l’aise avec l’eau ). Maintenant pour ce qui est du gars au crâne rasé avec les boucles d’oreilles et du lien subtile créé entre Nanisca et Amenza, c’est un autre débat
Pour finir, laissez-moi vous dire que je suis fière de ce film, comme je suis fière du film Black Panther. Je suis fière de ce film comme je suis fière de passer devant la sculpture d’Agodjié sur le boulevard de la Marina désormais. Je suis fière de ce film, comme je suis fière de la reconnaissance de la reine Tassi Hangbé après plusieurs siècles de déni. Je suis fière de ce film comme je suis fière de l’exposition diptyque « Art du Bénin, d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation », consacrant le retour de nos trésors royaux.
Je suis tout simplement fière