Il y avait à voir. A voir grand, large et coloré, ce jeudi 10 novembre 2022, à la Rotonde des arts contemporains au Plateau. Figure majeure de l’histoire de l’art en Côte d’Ivoire et en Afrique, Augustin Kassi, y fêtait ses 35 ans de peinture. Le troubadour de l’art naïf ivoirien annonce une série d’activités pour marquer d’une pierre blanche cette commémoration.
« Déjà en 2009, la Rotonde des arts contemporains a célébré l’artiste Augustin Kassi. Son retour aujourd’hui illustre le proverbe bien connu : quand une personne dit à une autre, retournons au coin d’hier, c’est que l’expérience de la veille a laissé un bon arrière-gout », dixit Yacouba Konaté, directeur de la galerie.
Pour le critique d’art mondialement connu et reconnu, « la contribution essentielle de l’artiste, depuis le milieu des années 1980, ne consiste pas tant à se faire le chantre des ‘’rondement belles’’, qu’à prendre le parti de l’emphase et de l’empathique ».
Le combat d’une vie
Le peintre qui a fait de la représentation des femmes fortes son crédo, a su tirer son épingle du jeu. Aujourd’hui, les « Augustin Kassi », se distinguent à coup d’œil parmi des milliers d’œuvres et cela, même par des profanes. Une reconnaissance de longue haleine.
« Ce que je fais, je ne l’ai pas véritablement appris à l’école. J’ai fait le centre Bieth d’Abengourou, un petit centre où on nous montrait les techniques de copie des tableaux de maîtres. Après, il fallait se trouver une écriture et c’est comme cela que j’ai choisi de faire l’art naïf qui était très moqué. J’en ai fait mon combat, il a été mené et gagné », se satisfait l’artiste qui est l’initiateur de la Biennale des arts naïfs d’Abidjan (BINA) qui suit son bonhomme de chemin.
Selon Yacouba Konaté, plusieurs études ont été consacrées à son travail qui se rattache, effectivement, au courant naïf. Une rubrique, que Chéri Samba récusait tout en lui préférant celle de peinture populaire.
Awoulaba, Tassaba, Apoutchou… sa signature
Durant trois décennies, l’on ne saurait se rappeler combien de fois l’imaginaire populaire ivoirien a trouvé de dénomination pour désigner les femmes plantureuses : Awoulaba, Tassaba et actuellement Apoutchou. L’artiste, quant à lui, les sublime à travers son écriture. Son pinceau n’a pris aucune ride et il n’est pas prêt de s’arrêter en si bon chemin.
L’exposition qui court jusqu’au 10 décembre est un hommage réitéré « à ses femmes rondes ». « Sa manière de déployer l’élasticité tendue des corps de femmes renonce au réalisme de l’exactitude pour installer une enflure formelle qui est en soi une esthétique de l’exagération », renchérit Yacouba Konaté.
L’historien de l’art conclue que « certaines lessives promettent de laver plus blanc que blanc ». Et que « Kassi peint plus gros que les grosses ». En un mot, il dépasse les limites comme pour rappeler l’omniprésence, l’excès dans ses récits du quotidien.
« Les apoutchous » du créateur loin d’être des femmes dépendantes, amorphes, accrochées aux poches des hommes, sont indépendantes. Des femmes battantes au sens propre du terme. « Elles bougent », dira M. Konaté. Elles sont représentées dans les marchés, leurs lieux de travail, dans les villages, au clair de lune, dans les contes.
La joliesse, la beauté exagérée de leurs visages, les traits fins d’un artiste hyper figuratifs accentuent cette perfection vers laquelle il oriente le visiteur. « Attention, ça va mentir », averti le critique d’art qui explique qu’avec Augustin Kassi, « l’art a d’emblée renoncé à la vérité pour prendre le parti de l’illusion ».
Pour lui donc, les femmes annoncent les couleurs. Leurs joies de vivre. Pourtant, la vivacité des teintes (techno couleurs) qui domine la plupart de ses toiles (avec les couleurs chaudes) ne l’empêche pas de passer au gris, au noir et blanc (avec ou sans fond coloré). Dans cette série, les femmes fortes ont des visages froncés, subissent les affres du quotidien. Elles ne sont pas toujours coquettes.
Kassi abstrait ?
Quelques toiles ont dérouté de nombreux visiteurs. Il a fallu bien lire les étiquettes pour avoir l’assurance qu’elles sont d’Augustin Kassi. Sur ces œuvres, des faces déformées, aucun trait fin, aucune ligne bien tracée. Les couleurs sont généralement froides avec de nombreux points (blancs) sur les formes. L’artiste s’ouvre à l’abstraction. Une écriture qu’on lui connait peu ou pas du tout et qui démontre que son écriture n’est ni figé, ni statique.
Loin d’une simple exposition, Augustin Kassi exhibe un parcours, un combat, une ouverture sur l’avenir… Sillonner les halls de la Rotonde des arts procure un sentiment de bien-être, favorise un dialogue avec soi et apaise. Comme chez Aristote : « Après le plaisir, la thérapie ». Cette exposition est à voir absolument car, nul ne saurait prévoir, une autre de Kassi, de cette envergure de sitôt.
Sanou A.