La galerie Houkami Guyzagn, à Abidjan Cocody, reçoit un salon annexe de la Biennale internationale des arts d’Abidjan (BINA). L’exposition qui se tient jusqu’à fin décembre, est le fruit d’un workshop international d’une semaine à la galerie.

Les œuvres de Youssouf Bath, Roger Yapi, Amakan, Doudou Brice, Salomon, Mohammed Bérété, Alain Zirignon, Augustin Kassi (Côte d’Ivoire) côtoient les cimaises avec les travaux d’une dizaine de peintres internationaux : Raymond Yves Kono ; Ngateu Abdias (Cameroun), Fabrice Matondo ; Marius Kabemba ; Kabemba Luabingi (RDC), Abosseh Mawuko (Togo), Manling Chen (Taïwan et Tunisie), Jean Claude Desmergès (France), Zeinab Nomao (Niger).
Kassi and Friends
Ce groupe que l’on peut appeler aussi « Kassi and friends », car ils sont présents dans le cadre de la commémoration des 35 ans de peinture du précurseur de l’art naïf en Côte d’Ivoire, adore la couleur, à quelques exceptions près (Bath, Salomon et Desmergès).
L’exposition est montée, selon Mimi Errol commissaire, des hyperréalistes aux abstraits (de la gauche vers la droite). De façon chromatique, on part des œuvres les plus colorées, aux moins colorées.

Quatre artistes dont les œuvres sont accrochées sur la façade gauche de la galerie, ont retenu notre attention. Il s’agit de Doudou Brice, Luabingi, Matondo et Ngateu (des figuratifs).
Doudou Brice, la technologie aux enfants

Doudou Brice est l’un des portraitistes les plus en vue, en ce moment, en Côte d’Ivoire. Des faces de ministres, de stars (musique et foot) et d’anonymes sont sublimées par celui qui ne représentait que des enfants, ses enfants. Ils sont encore au cœurs de ses créations « selfie » et « technologie ».

Si le rapport des enfants à l’écran (avant ou après 16 ans) est au centre des débats, l’artiste n’y voit que des possibilités. « A leur âge, il y a beaucoup de choses que je ne savais pas. Les enfants ont même une meilleure maitrise de ces appareils que nous les adultes. Ils y apprennent beaucoup et ça les éveille », explique-t-il.
De la concentration des garçonnets devant l’ordinateur (technologie) au beau sourire de la fillette (selfie), Doudou traduit aussi bien le caractère éducatif que ludique de ces appareils et exprime un manque, des privilèges dont lui n’a pas eu la chance d’avoir lorsqu’il était enfant.
Luabingi et le « tchoko »

Artiste vivant et travaillant à Kinshasa, Kabemba Luabingi traite d’un sujet transversal aux femmes africaines : le tchoko (la dépigmentation de la peau). De Dakar à Abidjan, de Kinshasa à Ouagadougou, de Bamako à Libreville, son constat est net : des femmes noires tentent de se changer la couleur de la peau.

Ses œuvres sont donc la description d’un paradoxe : des portraits de belles femmes, aux beaux sourires, à la peau dégarnie, défraichie. Des taches, des rousseurs, des peaux brûlées et multicolores qui ne sont que le résultat, selon lui, d’une hantise de ressembler à l’autre, aux blanches, à leurs canons de beauté. Une conséquence de l’invasion des télénovelas sur les chaînes de télé africaines et la volonté des jeunes filles à être comme les actrices de ces séries.
Ngateu et ses visages d’animaux
« En Afrique, la femme est généralement une ménagère. C’est elle qui prend soin de la famille. Ce travail est né lors d’un séjour à Ouagadougou en 2021. J’ai aperçu ces femmes vendeuses de médicaments très gueulantes, des « pharmacies » ambulantes. Je les transforme », situe l’artiste Abdias Ngateu.

« Ses femmes » ont des visages d’animaux. S’il est convaincu que « chaque humain porte un animal en lui », ses têtes de zèbre ou de gorille traduisent le côté joyeux et sociable de ces mamans qui se battent, chaque jour, pour la survie des siens.
Epousant la pensée d’Albert Camus, disant que « l’œuvre d’art n’est pas une essence solitaire, c’est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’homme. Leur montrer une image privilégiée des joies et souffrances », il évoque un sujet d’emblée tabou, les problèmes d’érection masculine et d’éjaculation précoce, que ces femmes rendent banal.
« Bois bandé », « déchiré caleçon », « zizi fort », « dure plus, bande plus, fais plus », « 1 à 3h, avant de jouir »… sont les noms des médicaments que ces femmes transportent à travers la ville sur leurs vélos.

Pour ce workshop, Ngateu qui d’habitude utilise une colorimétrie forte, a réduit les couleurs. Mieux, il joue avec le côté monochrome du noir, le blanc et le bleu. Et le résultat séduit.
Matondo et ses héros des dessins animés

Les enfants aiment les dessins animés. Ils les ont à fleur de peau. Avec Matondo, ils les ont dans la peau. « Je suis parti de l’expérience de ma fille. Pendant que je veux suivre un match, elle ne regarde que les dessins animés. A bien l’observer, son langage, ses manières ne sont que la somme de ces petits personnages », explique Matondo.
Dans son travail, il met ces créatures dans le corps des enfants pour montrer que ce sont eux qui les identifient. « Je motive les adultes à faire mieux que les enfants ». Si cette injonction de l’artiste parait invraisemblable, c’est parce qu’avec lui, les bambins sont des exemples et des modèles à imiter.

Et qui dit enfants et dessins animés, dit couleurs. Elles sont bien maitrisées par l’artiste à tel point que de loin, les petits êtres sont fondus aux gamins.
Cette autre exposition dans le cadre des BINA convainc de la chaleur des artistes populaires. En attendant l’exposition du salon officiel le 29 novembre à l’Institut français, « Kassi and friends » ne risquent pas de décevoir les visiteurs qui font un tour à Houkami Guyzagn.
Sanou A.