A l’occasion des Rencontres de Bamako 2022, Akinbode Akinbiyi est de retour pour la énième fois dans la capitale de la photographie africaine. Le « jeune homme » de 76 ans aux cheveux noirs et grisonnant est omniprésent à toutes les manifestations. Il se faufile dans les rues de Bamako. Généralement, il préfère relier les lieux à la marche. Serpentant doucement les artères, il marche « au rythme du soleil ». Et comme le caméléon, il fait des rotations des yeux à 360 degrés.

A l’aide de son appareil photo atypique, un reflex Rolleiflex à double objectif, qui lui donne un air de « has been » (dépassé), il fait fréquemment des arrêts, se met à l’écart, pour capturer des scènes. Le geste est toujours le même. Il s’arrête un moment, place l’œil sur le viseur de l’appareil. Et le boulot est fait. Il passe du temps au même endroit. Tout semble l’intéresser : les scènes du quotidien, le marché, la circulation, le paysage, les arbres, les espaces verts…
« Je travaille à l’extérieur. Travailler à l’extérieur est aussi un exercice en mon for intérieur qui est en relation avec ce qui se passe hors de moi. C’est un engagement personnel vis-à-vis de ma propre personne et des autres. Je le fais tout le temps car c’est pour moi une sorte de passion et d’obsession. Je pense qu’il est essentiel d’écouter son milieu et de le comprendre », confie-t-il.

Ses travaux sur la ville et l’environnement sont des prétextes de recherche sur lui-même. C’est pourquoi, lors de ses balades, tous ses sens (vue, toucher, l’ouïe, le goûter et l’odorat) sont en alerte. « Dans ma marche je suis ouvert à tout. Je fais jouer mes sens car ils sont en contact permanent avec le cerveau qui est lié à tout », explique-t-il.
A cet effet, il conçoit son activité comme une sorte de rituel, de danse, d’un perpétuel recommencement qui aboutit à une certaine universalisation des choses, des idées. Akinbodé joue sur sa propre sensibilité. Et à ce jeu, le souvenir de son enfance l’habite constamment face aux scènes, l’inspire et le pousse à l’action. « A un moment, j’ai recherché mon enfance. Je me suis reconnecté avec des moments profonds », note-t-il.

La situation des enfants de la rue, des mendiants, des sans-abris, ceux qu’il appelle « les invisibles », l’affecte énormément. Que ce soit dans les rues de Londres, de Lagos, de Dakar, de Bamako, de Nouakchott, de Johannesburg, en Amérique du nord ou du sud… son affection est pareil. Et comme pour leur dire qu’il les voit, il leur apporte fréquemment de l’aide : un peu de vivre, de l’argent, un sourire.
Techniquement, Akinbode a choisi de travailler en noir et blanc et ses photos sont de forme carré. Et qui connait la symbolique du carré, comprend aisément, sa minutie, son sérieux et sa concentration. En effet, avec ses côtés de même longueur, ses angles droits (4), cette figure est l’écu de la bonne structuration, de l’ordre. Elle traduit la stabilité, la discipline, la rigueur et le respect strict des règles. Tout ce que Akinbode est.

Quand il travaille sur un thème, il marche 6 à 8h par jour. Il arpente les rues et reprend toujours les mêmes voies. « Je ne fais pas de comparaison de mes photos par rapport aux rues que je prends et reprends. Ce sont des moments qui me parle et qui me mettent en symbiose avec les autres », souligne-t-il.
Aux Rencontres de Bamako 13, s’il ne peut se priver d’exercer son art, il joue comme un rôle de transmission. Un témoin entre la première génération de photographes et celles qui les ont suivis. C’est l’un de ceux qui ont donné une autre dimension à la photographie. Il a formé des jeunes photographes qui ont aujourd’hui une reconnaissance mondiale. Et comme à ses débuts, il a toujours soif de connaissance. « On ne devient jamais un maître, on apprend toujours », dixit Akinbode Akinbiyi.

Amadou SANOU à Bamako