13 décembre 2022. Bamako (Mali). Bagadadji, Rue 508. 34 degrés à l’ombre. A l’intersection de la voie, plusieurs activités commerciales. Des couturiers sont en pleine finition d’une tunique homme. De l’autre côté de la route, une alimentation. Une échoppe de fastfood attend le début de ses activités. Là, à ce carrefour modeste, familier, sous les klaxons des véhicules personnels, Sotrama (mini cars de transport en commun), motos et autres tricycles, trône une grande photo sur un mur.

Malick Sidibé, l’un des plus illustres photographes du continent soulève triomphalement, sur la tête, un trophée. Il est heureux. Ses dents blanches magnifient son sourire. Vêtu d’un grand boubou, l’une des figures majeures de la photographie africaine donne un cachet spécial à cet endroit. Des bandes, en noir et blanc, verticales, ornent une partie de la façade principale. L’autre partie est peinte toujours en noir et blanc avec des damiers carrés. Au-dessus de la tête, une enseigne informe : Studio Malick Sidibé, photographe. Elle donne des précisions sur le numéro de rue, la porte (632), la boite postale (455 Bamako Mali), les numéros de téléphone et le e-mail. Oui, c’est effectivement là, le studio de « L’œil de Bamako ». Là, où il a travaillé jusqu’à sa mort en 2016.

Sur les trace d’une légende
Ce mercredi très bruyant, une délégation des invités de la 13e édition de la Biennale de la photographie africaine, Les rencontres de Bamako, arrive sur les lieux. Nous franchissons le portail avec beaucoup d’émotion. « J’avais pensé à une grande bâtisse. Découvrir ce studio si simple, si sympathique alors que Malick est un mythe, c’est génial », exulte Joy Gregory, artiste britannique dont le travail photographique explore les préoccupations liées aux différences culturelles. La diplômée de la ‘’Manchester Polytechnic’’ et du Royal College of Art est davantage estomaquée lorsqu’elle découvre l’intérieur.
En face, un pagne imprimé imitant les motifs du bogolan couvre un fronton en bois qui oblige à tourner à droite. Sur des étagères fixées au mur, une multitude d’appareils photos sont exposés. La poussière rappelle qu’il y a longtemps qu’ils sont à cet endroit. « Nous avons gardé le studio intact depuis les année 60 », informe Karim Sidibé, fils de Malick qui continue l’œuvre photographique de son père. Nous avons dénombré environ 😯 appareils photos, de toutes sortes.

« Voir tous ces appareils de l’époque, comment il recrée le monde. C’est un privilège pour moi », souligne Joy Gregory sous le charme. Sur l’autre côté du mur, une petite étagère est surmontée sur une grande. Celle du haut contient d’autres appareils endommagés et celle du bas de nombreux livres et catalogues. Ils sont pleins de poussière et il n’est pas aisé de les feuilleter.
La séparation d’en face est celle des expositions. Couverte d’un drap traditionnel, 9 photographies y sont accrochées. La plus grande montre l’artiste au boulot au sein même du studio. Un détour sur la gauche nous met en face de l’espace où il faisait ses prises de vue. Un tapis en damier (noir et blanc), en matière plastique, couvre le sol. Un Tabouret peint de la même façon permet aux photographiés de s’asseoir ou de faire des poses. Au mur, un pagne tissé, en damier noir et blanc, sert de décoration. Six projecteurs sur trépieds et un grand bloc accroché en haut, permet d’éclairer les clients.
« Au cours de mes études d’art, j’ai eu de nombreuses références sur Malick Sidibé. Il est très populaire dans le milieu de la photo. Venir voir, aujourd’hui, la qualité au plan de l’expression, du mode de vie de ce grand photographe africain, inspire. C’est un rêve qui se concrétise », note René Tavares, venu de Sao Tomé et Principe.
Le studio est modeste. Une grande partie du matériel restée au sol est couverte par des morceaux de pagnes. Ce qui donne un air de vétusté au hall. « Quand on entre dans le studio, on fait un retour en arrière. On imagine le contexte de travail de Malick qu’on adore aujourd’hui. Ce minuscule studio a une âme artistique formidable », apprécie Jean François Denwoo, journaliste camerounais. Très impressionné, il assimile cette visite à une initiation et invite la génération actuelle, celle qui utilise des appareils performants, à y faire un tour.

Malick l’immortel qui immortalise
A Bamako, souligne Karim Sidibé, toutes les maisons, tous les salons sont ornés par des images prises par Malick Sidibé. « Tous les bamakois d’un certain âge, explique-t-il, connaissent ce studio et la confiance en Malick a des retombés sur nous, ses successeurs ».
En effet, Karim tente de perpétuer l’œuvre de son père. Avec l’explosion du numérique et les possibilités qu’il offre, le fils en profite. « Nous sommes sollicités durant les cérémonies, les mariages, les jours de fête, pour le ramadan, la tabaski, le 31 décembre. Nous faisons aussi le reportage de mariage en ville », soutient-il. Et de révéler : « Malick a travaillé avec l’argentique, les pellicules. Nous allions et l’argentique, et le numérique. La nouvelle génération ne connait que le numérique. Ils sont séduits par les photos de l’époque, mais ils n’osent plus poser comme on le faisait. Nous n’utilisons les appareils argentiques que pour les clients qui le demandent ».
Les shootings photos sont toujours prisés au sein du studio. Même si Karim voudrait d’autres décors pour attirer davantage de clients jeunes, il est conscient de la valeur inestimable de ces murs peints en noir et blanc. « Nous jouissons de la bonne renommée et du succès actuel de Malick Sidibé à l’international. La preuve, vous êtes là aujourd’hui. C’est devenu une sorte de musée », note-t-il.
« Quand on vient ici, il ne faut pas regarder les poussières. Il faut savoir que c’est un mémoire. Je dirais un mémorial. Et les parents l’ont compris. On ne doit surtout pas le modifier. Il faut garder ce studio comme il est, 100 ans, 1000 ans pour que d’autres générations voient l’évolution du monde. Car c’est l’image qui fait l’histoire des hommes. Si on les déforme, on aura plus cette histoire », souligne Jean Français Denwoo.
A l’heure de quitter Bagadadji, pendant que le soleil a baissé d’intensité à Bamako, nous ne pouvons ne pas sacrifier à la tradition. Prendre une photo dans le studio mythique, ce mini-musée, de celui qui a révolutionné la photographie africaine des années 1960. Ces clichés en noir et blanc, que nous tenons en main, nous rappellent que la beauté est intemporelle.
Par SANOU Amadou à Bamako