Pour l’exposition qui se tient au lycée de jeunes filles Aminata Ba Diallo de la capitale malienne, les Rencontres de Bamako n’ont jamais aussi bien porté leur nom. En effet, cette expo, qui pourrait passer inaperçue, met en avant les regards de photographes indiens sur les Intouchables.
Pour comprendre l’exposition et la portée des clichés proposés dans l’enceinte du lycée de jeunes filles Aminata Ba Diallo de Bamako, à l’occasion de la Biennale africaine de la photographie, il faut un peu connaître l’histoire de l’Inde, surtout contemporaine, et comprendre le système des castes chez les Hindous. Les œuvres des photographes indiens et par-là même leurs regards se tournent vers ceux appelés, au pays de Gandhi, les Intouchables ou les Dalits. Des personnes considérées comme hors caste. Des personnes que les membres des autres castes ne peuvent en aucun cas toucher, car ils risquent de devenir impurs. Alors que les Intouchables n’ont rien d’impurs. Ce sont des personnes comme toute autre personne, avec leur joie, leur peine, leur quotidien. Des personnes qui ont le droit de vivre comme toute autre personne.
Pour vulgariser un peu, en Inde, le système brahmanique des castes propose quatre varnas (couleurs). Il faut savoir que ce système se base sur l’ancienne littérature hindoue et classe, donc, les personnes de cette religion en quatre grandes catégories : les Brâhmanes (prêtres et enseignants) qui auraient été créés à partir de la tête du dieu Brahma, les Kshatriyas (gouvernants et guerriers) de ses bras, les Vaishyas (artisans et marchands) de ses cuisses, et les Shudras (ouvriers et serviteurs). Les Dalits n’ont aucune place dans ces différentes catégories. Ce sont les personnes qui n’ont pas été incluses dans le système des castes dès la création de celui-ci. Exclues des quatre varnas, elles se sont retrouvées reléguées aux tâches dégradantes, très mal rémunérées, et considérées comme impures du point de vue religieux.
Réussir là où la Constitution indienne a échoué
Les photos exposées au lycée de jeunes filles Aminata Ba Diallo de Bamako ont, pour la plupart, été réalisés par des photographes dalits ou pro-dalits, comme Rajyashri Goody, dont la pratique artistique explore les exemples quotidiens et historiques de la résistance dalit avec l’espoir de nouvelles conversations sur les castes et les hiérarchies.
Ces photos espèrent réussir là où la Constitution indienne a échoué en donnant leurs droits aux Intouchables, les montrant en Indiens et non en Dalits. Car, si le sujet n’avait pas été dévoilé au cours de l’exposition, les visiteurs n’auraient pu voir les différences entre les Dalits et les Hindouistes castés. Par exemple si l’on regarde la photographie de Mayuri Chari Hau représentant une femme indienne, rien ne nous dit qu’elle est Dalit ; elle est, pour nous, simplement une femme indienne de confession hindouiste puisqu’elle porte le point rouge sur le front (appelé pottu ou bindi), signe chez les femmes hindouistes qu’elles sont mariées. L’on sait que c’est une Intouchable car l’exposition l’annonce. Seuls, peut-être, les spécialistes sur l’Inde et les Indiens eux-mêmes font les différences.
Ces différents clichés sont comme un soutien aux Dalits, des gens opprimés pour cause de traditions et de croyance, qui, malgré la modernisation, restent toujours englués dans les carcans où les autres les ont mis depuis des générations et des générations…
Zouhour HARBAOUI