La phase professionnelle de la 13ième édition de la biennale de la photographie africaine intitulée « Rencontres de Bamako » s’est déroulée du 7 au 15 décembre 2022. Docteur Bonaventure Ndikung a été pour cette autre édition le Directeur Artistique. Il exprime ses satisfécits, revient sur les difficultés liées à l’organisation de l’évènement, tout en confiant que le pari a été réussi, et promet de revenir au Cameroun reluire la culture qui se trouve dans la mélasse actuellement.
« On pense qu’il y a une grande différence entre le style local et le style global »
Monsieur le directeur artistique des 13ième Rencontres de Bamako, dites-nous, au moment où ce festival se met en route, quelle a été la qualité du travail produit ?
Nous qualifions la qualité de travail abattu jusqu’ici, de poétique. On a essayé de travailler avec les artistes qui ont une sensibilité de la multiplicité des savoirs, et de la philosophie qui existe dans le monde africain. Parce que cette histoire d’identité simple qui nous renvoie à la personne ne tient pas, mais plutôt la multiplicité.
Quand Hamadou Hampate Bâ a écrit que dans la cosmologie Peul et Bambara, personne n’est seule. On est toujours multiple. Et ça veut dire en Bambara, « Maa Ka Maya Ca A Yere Kono ». C’est-à-dire, les personnes de ma personne se multiplient dans ma personne. Et je trouve cet adage très pertinent. Même dans la religion Chrétienne, cette unité, dans un être qui est tellement grand, veut en réalité dire la multiplicité, dans ce qu’on pense que la singularité. Donc la qualité, c’était en fait de chercher les artistes jeunes, qui travaillent dans ce contexte, pour leurs proposer le concept, et voir leurs réactions.
Quand vous voyez la qualité du travail qui a été produit notamment sur tous les chapitres qui ont été retenus, comme le musée national du Mali, le musée de district, la maison de la photographie africaine, croyez-vous que le rendu ait été donné ?
Je ne m’attends jamais à un rendu en tant que tel. C’est une expérience, c’est une balade dans la forêt. Et tu ne sais pas à quel endroit tu vas tomber. C’est qu’être commissaire veut dire. Si la question est de savoir si je suis content au regard de ce qui a été produit, tel est le cas. Nous sommes dans une crise au Mali, et nous avons réussi à faire une pareille exposition, avec 75 artistes, dans 8 endroits différents, ce qui n’est pas facile. Et les difficultés auxquelles nous avons été confrontées étaient graves, comme je le disais dans mon discours. Mais, si nous nous sommes ici au Mali, alors, c’est déjà un grand succès. Ce que nous voyons, est au-delà de ce qui était prévu. Nous avons essayé de travailler dans le minimalisme. La scénographie est minimale, et elle porte des œuvres. Il faut ajouter que, dans l’histoire de ces biennales, depuis 1994, tous les dirigeants ont publié les œuvres en France.
La seule fois où les œuvres n’ont pas été publiées en France, c’était ma grande première en tant que directeur artistique. J’ai insisté qu’on devait tout produire au Mali, pour faire prospérer l’économie de ce pays, pour soutenir les artistes maliens, et booster leur savoir-faire. Ce qui a encore été fait cette édition de 2022. Ça veut dire des grands artistes ont été produits ici.
La qualité des œuvres produites ici, a la valeur par rapport à la thématique ?
Vous savez, l’art est universel. Surtout quand c’est dans le domaine de la poésie. Et si vous voyez les œuvres choisis, vous remarquerez qu’elles sont d’un contexte spécifique, parce qu’il est tellement important. Ces œuvres sont parlantes aux personnes de différentes cultures.
On pense souvent qu’il y a une grande différence entre le style local et le style global. Alors que le premier est contenu dans le second, ce qui veut dire que si je m’exprime ici, ceux d’ailleurs, peuvent comprendre, mais autrement. Donc les œuvres ont cette aisance, à pouvoir s’adresser à tout le monde, amis pas de la même manière.
Mais dans ce contexte, on sait qu’aujourd’hui, c’est un régime militaire qui est revenu au Mali, et qui a des tendances panafricaines, et à se desservir de l’ancienne puissance coloniale, qu’est-ce que cette biennale pourrait apporter comme contribution dans lutte acceptée par le peuple malien ?
Ce biennale est panafricaniste, même la dernière édition. Et aussi toutes les éditions. Je pense que la culture fait partie de toutes les révolutions. Quelqu’un avait fait son discours à la havane, dans lequel il relevait le rôle de la culture dans la révolution. Donc la pensée est tellement importante. On ne peut pas faire la révolution, sans les grands penseurs, sans les artistes. C’est impossible. Voilà pourquoi partout où se trouvent des révolutionnaires, il y a des grands poètes. Comme à ces biennales, certains parmi eux ont montré que le Mali est debout. Même si c’est difficile, même si l’Etat malien n’a pas pu donner beaucoup d’argent à cause d’une crise liée à la pandémie à coronavirus, et d’un embargo.
Le gouvernement aurait pu dire qu’il a assez de problèmes, et que la biennale n’est pas sa priorité. Mais il a accepté de mettre des fonds à disposition pour à l’organisation de cet évènement. Même si on n’a pas pu avoir les visas pour tous les artistes, même si on n’a pas pu avoir l’argent pour tous les artistes. Et le ministre a dit dans son discours en langue Bambara que : « Mieux vaut mourir que de se laisser humilier ». Donc le peuple malien ne se laisse pas humilier par les autres. Cette fierté que nous considérons comme un héritage est tellement important pour nous les africains.
Alors l’écriture photographique qui a été donnée ici, est assez diversifiée, mais la thématique reste la même. Etait-il facile d’orienter les artistes quand on l’impression qu’ils sont caporalisés dans leur création ?
Nous invitons les artistes à venir avec nous dans un voyage. Or la route est longue. Mais, nous marchons ensemble. C’est comme quand vous vous rendez à l’hôtel Mont Fébé, en compagnie de vos comparses, d’autres plus rapides, certains plus lents, mais vous êtes tous ensemble. C’est une invitation. Et surtout, le travail n’est pas seulement de faire illustrer tes concepts. Mais d’inviter ceux qui travaillent déjà sur des concepts pareils.
Est-ce qu’on peut attendre un grand travail comme celui-ci pour votre pays le Cameroun ?
Si le Cameroun m’invite, je viendrai. C’est l’Etat malien qui m’a invité. J’ai piloté un grand projet à Madagascar, sur invitation de ce pays. J’ai plusieurs projets personnels. Maintenant, on est en train de créer un centre de bibliothèque à Limbé, on va créer aussi une bibliothèque à Bamenda, on va construire une institution à Douala. On a fait une collection de presque 6000 livres qui ont été produits au Cameroun qui sera dans ces bibliothèques. On va faire une collection de textiles, parce que le Cameroun, est un grand pays, avec de textile incroyable. Mais l’Etat camerounais doit aussi prendre ses responsabilités, en comprenant que la culture est importante, parce que si on imagine qu’il n’y a pas un centre Manu Dibango, ça devient honteux, parce qu’on n’a plus de repères.
Entretien mené par Jean-François CHANNON, envoyé spécial à Bamako.