Le centre culturel Kôrè est un des lieux d’accueil du Festival sur le Niger ou Ségou’Art. C’est là que j’ai vu, avec délectation, le nouveau spectacle de la compagnie de marionnettes Nama. «N’yéléni» a été, superbement, porté par des femmes, en hommage à toutes les femmes courage sans tomber dans le féminisme.
Dans des pays où il est dur pour une femme de s’affirmer par elle-même sans passer par les traditions d’une société patriarcale, c’est toujours une victoire de voir une femme avancer contre vents et marées. Mais quand c’est un groupe de femmes, c’est plus qu’une victoire, c’est un triomphe ! Et ce triomphe les jeunes femmes de la compagnie de marionnettes Nama l’ont réalisé sur la scène de la salle de spectacle du centre culturel Kôrè ; un nom qui fait référence à un fétiche et à sa société secrète bambara.
Un art qui n’est plus réservé aux hommes !
Il y a un peu plus de deux ans, Yacouba Magassouba, fondateur et président de la compagnie de marionnettes Nama, a décidé de s’attaquer à des préjuger en initiant des jeunes femmes à l’art de la marionnette ; un art qui, dans nombre de pays -et pas uniquement sur le continent africain, est réservée aux hommes. Si l’on prend l’exemple du Mali et la ville de Markala (une ville sur le fleuve Niger, à 35 km au nord-est de la ville de Ségou, la sortie des masques et marionnettes est une fête rituelle pratiquée dans les communautés bambaras, bozos, markas et somonos, et uniquement par des hommes. Cette sortie est même inscrite, depuis 2014, sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Chacun des masques et marionnettes symbolise le lien sacré entre l’homme et la nature, à travers la représentation d’un animal particulier incarnant des vertus spécifiques de la société. Les masques et les marionnettes célèbrent, également, la fin des récoltes et saluent la période des pêches individuelles et collectives.
Le spectacle «N’yéléni» de la compagnie Nama a été écrit et mis en scène par Salif Berthé, conteur, comédien, acteur, et musicien. L’«Oiseau-Conteur», comme le surnomment ces pairs, s’est prêté au jeu de laisser la place aux femmes tout en les guidant et en les conseillant. Ses expériences scénique et en jeu d’acteur lui ont permis d’attribuer à chacune des jeunes filles le rôle qui lui convenait. Il a su trouver en elles leurs forces et leurs faiblesses pour faire un choix judicieux dans la distribution des rôles.
N’yéléni, tout un symbole
Judicieux est également le titre du spectacle. N’yéléni (orthographie également Nyéléni) n’est pas n’importe quel prénom. Il est doublement symbolique. Tout d’abord de par sa signification : «première fille», de l’autre par l’histoire de cette Nyéléni célèbre qui était l’enfant unique d’un couple de paysans maliens à une époque où n’avoir qu’un enfant, et surtout une fille, était considéré une honte. De toute sa volonté et malgré la mauvaise considération des autres, Nyéléni a décidé de prendre son courage à deux mains et de prouver aux hommes qu’une femme pouvait devenir une grande agricultrice. Elle a su montrer sa force, et par là-même la force des femmes, en devenant une paysanne très respectée qui subvint aux besoins de sa famille et de beaucoup d’autres personnes grâce à son dur labeur et à son ingéniosité en matière de production et de transformation alimentaire. On lui attribue le développement du fonio.
Les jeunes filles de la compagnie Nama sont toutes des Nyéléni en devenir, mais dans le domaine de l’art de la marionnette. Elles sont les «premières filles» à manipuler des marionnettes, seules sur scène et elles ont montré qu’elles pouvaient surpasser les hommes dans ce domaine.
L’histoire de la pièce «N’yéléni», même si la plupart des dialogues et des textes sont en bambara, avec quelques mots de français, est simple à comprendre. N’yéléni, jeune villageoise, voudrait devenir marionnettiste. Son père refuse net. Elle tombe amoureuse de Moriba, un jeune marionnettiste, qui va l’initier à cet art dont elle est passionnée. Elle va entraîner dans son sillage une révolte des femmes de son village.
Les onze jeunes filles, formées par la compagnie Nama, ont très bien fait passer leur message. «N’yéléni» est un vecteur à leur désir de devenir marionnettistes. Le personnage de N’yéléni représente, en fait, chacune d’entre elles.
D’autre part, ce spectacle, qui s’adresse aussi bien aux petits qu’aux grands, est complet : marionnettes, bien évidemment, théâtre, musique (en live et en bande-son), chants, et danses. Même si, dans le public, des personnes ne comprenaient pas le bambara, le fait d’avoir ces différents arts sur scène a permis une compréhension de l’histoire, appuyée en cela par un jeu d’acteur égal à des comédiennes ayant plusieurs années d’expérience scénique.
Je vous écris chapeau bas mùsow (femmes en bambara) ! Vous avez triomphé !
Zouhour HARBAOUI