Il y a des personnes que l’on retrouve au gré des festivals et autres expositions. Des artistes qui marquent par leur art, tout en étant des personnes discrètes. Des artistes qui, par leurs œuvres, apportent des couleurs à la vie. Il en est ainsi de l’artiste-peintre burkinabè Segson qui a présenté deux de ses multiples œuvres en exposition Off à l’occasion du Festival sur le Niger-Ségou’Art.
Quand je couvre un festival, j’aime bien sortir un peu des sentiers battus. Ce que j’appelle sentiers battus, c’est le programme en In. Et sortir des sentiers battus pour moi, c’est couvrir certaines activités en Off. C’est vrai que je ne peux pas tout couvrir, mais j’essaye d’en voir un maximum. Des fois, le programme Off est meilleur que celui en In. C’est juste une question d’appréciation. Je ne suis pas critique, juste journaliste, entre autres, culturelle.
A l’occasion du Festival sur le Niger-Ségou’Art, dix-neuf expositions Off ont été programmées. Difficile pour moi de savoir lesquelles choisir. Heureusement qu’il y a le destin. Lors de l’ouverture du festival, j’ai croisé un artiste-photographe burkinabè que j’avais déjà rencontré en 2019 lors des Rencontres de Bamako : Nomwindé Vivien Sawadogo. Ce dernier m’a invité à l’exposition du Collectif Wekré, fondé en avril 2020 par Aboubacar Sanga, opérateur culturel, et ce, pour faire connaître et reconnaître des artistes plasticiens burkinabè et leurs créations et de valoriser un secteur culturel encore méconnu.
Case Obus, ça a un… impact !
J’ai promis de passer. Et comme chose promise, chose due, je me suis rendue à l’Institut Kôrè des Arts et Métiers (IKAM) où se tenait l’exposition. Et là, je suis tombée en pâmoison sur les deux œuvres d’un artiste-peintre burkinabè Segson. J’étais comme un bébé qui voit un livre, un magazine, ou une bande dessinée tout en couleurs et qui est hypnotisé par cela. Et tel un bébé, j’ai été accrochée tout d’abord par les couleurs, notamment chaudes, que l’artiste a utilisées ; des couleurs, comme qui dirait, très africaines. J’avais du mal à détacher mon regard surtout de l’œuvre «Case obus». Puis, le style m’a aussi frappée. Un art naïf pas si naïf que ça, comme l’a dit Segson. Oui, un art naïf pas si naïf que ça. Le peintre burkinabè s’inspire de la vie quotidienne aussi bien des villes que des villages en la mettant en relief grâce d’abord aux couleurs intenses, puis grâce aux personnages, et à d’autres éléments comme des animaux pour prendre l’exemple de «Case obus».
L’artiste semble mettre plus en valeur les choses inanimées qu’animées. En effet, la naïveté est dans les personnages qu’il peint. Toujours dans «Case obus» (je vous disais que je suis restée en pâmoison devant cette huile sur toile de 1m sur 50 cm), les personnages ont les yeux exorbités et certains ont la bouche en «O», comme s’ils étaient des automates, comme s’ils étaient superposés à la toile originale, comme si leur rôle était de mettre en relief la nature et les autres éléments du décor. La nature et les constructions donnent une dimension réaliste, loin du naïf malgré le trait qui semble l’être. Une réalité qui permet de dire quelle zone géographique est représentée. Ainsi, dans «Case obus», Segson a représenté le tòlék, art architectural typique du peuple Mousgoum ; peuple vivant dans les localités du Nord du Cameroun et du Sud-Ouest du Tchad, et, même, dans l’Est du Nigeria. Merci Internet !
Tout en détails
D’ailleurs d’Internet, il en est question dans l’autre toile, «Génération Internet», où Segson dénonce la colonisation et l’influence du Web sur la jeunesse burkinabè -pas seulement. Une jeunesse abêtie par les réseaux sociaux tels que Facebook, Messenger, WhatApp, Instagram, ou encore Linkedin. Une jeunesse passionnée de selfies, d’appels téléphoniques, et de musique entre les deux oreilles grâce à des écouteurs, etc.
Segson aime jouer sur les détails, du plus grand au plus petit et inversement. Détails qui, avec les couleurs, donnent de la vie, du mouvement à ses œuvres. Détails qui vont des motifs des habits au feuillage des arbres en passant par les détritus sur le sol, les lézardes des cases, et les lézards geckos, pour la toile «Case obus». Dans «Génération Internet», il pousse les détails même en mettant les marques sur certains habits, dont l’une fait référence à un site Internet d’achat et de vente en ligne, et l’autre à une marque de sport que tous les jeunes Africains rêvent de porter, même si elle est de contrefaçon. Des détails qui donnent encore plus d’animation aux toiles.
Dans les deux toiles, la présence des pagnes est importante, non seulement à travers les vêtements de certains personnages mais également comme éléments support des œuvres. Je m’explique. Dans «Case obus», outre les habits des villageois, Segson a peint le cadre du tableau comme si sa toile était posée sur un pagne. Et par amusement, le peintre en a fait écho dans son tableau en «drapant» l’entrée d’une des cases. Dans «Génération Internet», c’est comme si l’artiste avait peint sa toile sur un pagne.
Art sur pagnes et autres
Ces références au pagne sont très importantes dans les œuvres de Segson, non seulement parce que le pagne est devenu africain par excellence, même si le tissu wax n’est pas d’origine africaine. Pour vulgariser un peu, et sans entrer dans les détails, car je ne suis pas Segson !, le wax et le batik viennent, à l’origine, d’Asie. L’idée a été «volée» par des Européens, Britanniques et Hollandais, qui avaient colonisés une partie de l’Asie, et qui ont dû plier bagage. Puis, au fil du 20e siècle, le wax, produit de la colonisation et de la mondialisation, est devenu un emblème de l’identité africaine avec ses symboles et ses codes.
Justement à propos de pagnes, l’art de Segson ne se limite pas aux toiles. Il fait des imprimés de pagnes très originaux et uniques. Le peintre devient artisan tout en restant artiste. Vous me suivez ?
Son art, Segson le met, également, à disposition des objets de décoration et autres objets utilitaires : assiettes, verres, tasses, etc. Et là aussi chaque objets est uniques. Si vous voulez voir ses œuvres et ouvrages, je vous conseille d’aller voir sur le Net.
Et si vous aimez les jeux du style «Où est Charlie ?», amusez-vous à trouver la signature de Segson sur ses toiles ainsi que la date de l’œuvre.
Je parlais de destin au début de cet article, l’artiste-peintre et moi nous nous sommes déjà croisés en 2012 à l’occasion de la Biennale de l’art africain contemporain à Dakar (Sénégal). Et déjà, j’avais apprécié l’œuvre qu’il y avait présentée. Mais, je ne savais pas que c’était lui…
Zouhour HARBAOUI