Rédigé par Zou Har et publié depuis Overblog
Journaliste tunisienne, Zouhour Harbaoui est une militante contre le racisme des Noirs dans son pays. Ayant vécu et travaillé dans plusieurs pays subsahariens, elle a un lien viscéral avec ces Etats. La récente décision de la Côte d’Ivoire de rétablir le visa entre la Côte d’Ivoire et la Tunisie pour le fallacieux motif “de lutter contre l’immigration irrégulière” l’a fait réagir. Elle écrit cette belle lettre au pays qu’elle aime bien.
Ma chère Côte d’Ivoire,
Quand j’ai lu cette information : «La Côte d’Ivoire a lancé des procédures pour l’instauration d’un visa avec la Tunisie, pays de départ pour des milliers de migrants subsahariens, souhaitant atteindre l’Europe, a annoncé, jeudi 28 septembre, le porte-parole du gouvernement ivoirien», cela a été un véritable choc, une véritable catastrophe pour moi.
Déjà prendre le prétexte, fallacieux, de l’émigration clandestine pour instaurer un visa, cela démontre qu’il y a un autre alibi. Visa ou pas, cela n’empêchera les candidats à l’émigration/immigration clandestine d’essayer d’atteindre leur but. Ils trouveront d’autres moyens, d’autres chemins pour y arriver…
Puis, c’est le signal, que, si l’instauration venait à être réalisée, je ne pourrais plus te rendre visite. Tu sais que je ne suis pas du tout amie avec les démarches administratives (en tout genre). Je ne roule pas sur l’or ! Je ne m’appelle pas Crésus ! Je ne peux me permettre de payer un visa à 50 euros, ce qui fait plus de 150 dinars tunisiens. Ne vas pas croire que tu n’en vaux pas la peine ! Mais, tu vois, je préfère mettre cet argent dans ton commerce…
La première fois que je t’ai rendu visite, c’était à la fin août 2003. Je te découvrais en découvrant une partie d’Abidjan, surtout Treichville, un quartier cosmopolite. Au fil du temps, j’ai aussi découvert Grand-Bassam, et une plus grande partie de Babi.
En t’écrivant, les souvenirs remontent à la surface de ma mémoire : l’attiéké (que je n’ai pas du tout aimé ; surtout ne te fâche pas!), l’alloco (un ou deux morceaux ça va, pas plus ; ne te fâche pas aussi), l’agoudi (que j’ai mis 15 ans à manger ; c’est une longue histoire), le Youki Moka Café (c’est ma Tip Top boisson quand je viens te voir), les fruits dont j’emplis ma valise parce que chez moi les ananas, les avocats, etc., coûtent la peau des fesses, et moi je tiens à mes fesses !), ton chocolat en poudre, le Karicoco (pour mes cheveux), etc.
Il y a aussi tes paysages : la lagune Ebrié sur laquelle j’ai navigué en bateau-bus, ta verdure verdoyante, ton histoire à Grand-Bassam… Il y a plein de choses, de souvenirs qui remontent en moi. Ils affluent comme des prisonniers qui retrouvent leur liberté. Je les laisse, pour le moment, vaquer. Ils me reviendront après.
Tu vois ma chérie coco, tout a été fait pour nous séparer. C’est bête parce qu’on râle que l’Occident impose des visas, mais, voilà, que, maintenant, on s’impose des visas entre nous Africains ! Visas qui n’ont pas lieu d’exister.
Ma chère Côte d’Ivoire, espérons que cette lettre soit juste une lettre d’au revoir et non une lettre d’adieu.
Je t’embrasse bien fort.