Il y avait du théâtre à voir dans la cour des Tall à la rue 369 de Bamako-Coura, au Mali, ce jeudi 14 décembre 2023. Et comme c’est le cas depuis l’ouverture de la 5e édition du festival Les Praticables, cette concession a été prise d’assaut par un beau public. Le principe était tout simple : se raconter. Cette tâche a été confiée aux jeunes lycéennes venues de Mopti après avoir été encadrées et suivies par Jeanne Diama.
A la cour des Tall donc, on a ouvert les yeux et tendu les oreilles. En trois tableaux, à peine une trentaine de minutes, on a tout su de leurs problèmes, ou presque. Les six jeunes filles retenues après une phase de sélection ardue, ont mis en lumière leur vécu, leur grief et surtout leur espoir.
Au premier tableau, on a évoqué le mariage précoce et forcé. Une problématique qui loin d’être en régression gagne du terrain au fil des années. Ces adolescentes se voient arracher à leurs études, leur enfance, leurs aspirations pour être des épouses, parfois des deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes femmes, avec la complicité de la société et surtout de leurs mères. Ici la soumission est de mise. Selon cette logique, le bonheur d’une femme ne s’obtient que lorsque qu’elle gobe et supporte toutes les « âneries » de l’époux. Des conseils sassés et ressassés par la griotte qui, « sous ce soleil des temps difficiles », ne porte que la parole de son bienfaiteur. Et qu’en est-il du bonheur de la mariée ?
Le deuxième tableau peut être titré la révolte des lycéennes. Mais, qu’est ce qui peut bien irriter des lycéennes, frêles en quête de savoir, au point de crier haut et fort leur indignation ? Le harcèlement sexuel, pis le viol. « La seule arme que nous avons, nous, jeunes filles de Mopti, c’est la parole. Nous parlons aujourd’hui, nous parlerons demain et après-demain », soutient une voix off. Et quand la parole est libérée on attend des cris de revendication : « guerrières, guerrières. Oser lutter, c’est oser vaincre… L’administration corrompue, à bas ; les professeurs, surveillants, censeurs, proviseurs dragueurs, à bas ; les élèves à vie ».
Pourtant cet appel à la vie est mis en péril dans le troisième et dernier tableau. L’enjeu est existentiel. Mieux, il faut être en vie pour mener ces combats-là. Malheureusement, des frères indignes ont retourné leurs vestes comme la patrie et ont décidé de mettre en péril l’unité nationale en tuant les siens. La question sécuritaire ainsi recentrée pose la question de l’héritage qui sera laissé à la postérité, aux générations à venir. « Amadou, Lamine… », des frères, ont tronqué l’avenir des siens pour un combat sans tête, ni queue.
« La pièce est représentative de ce que les filles vivent au quotidien à Mopti. C’est leur histoire. Je les ai juste assisté. C’est le résultat de leur réflexion », s’est réjoui Jeanne Diama, affectueusement appelée « Tantie Jeanne ». Pour elle, ce résultat n’était donné à l’avance. C’est après un débat sur des questions diverses avec une centaine de jeunes filles que ces six lycéennes ont été sélectionnées. Elles ont travaillé en deux semaines avec moins de quatre jours de répétition.
Chez les Tall, ce soir, une scène a ravi toute l’assistance. Pendant qu’à la fin de la pièce, sur une musique bien rythmée, pleine d’espoir, les actrices invitent les spectateurs sur scène, une vieille dame, depuis sa chambre, s’est mise à danser. Ne tenant plus, elle a rejoint les autres. Un dialogue de génération qui démontre l’intemporalité du combat. Qu’on ait 14 ans, 20 ans, 40 ans ou 70 ans, ce combat reste le même et il faut le mener ensemble.
SANOU A. à Bamako